-Non de non ! Par Merlin !

Ernie Beller avait laissé échapper le gentil juron entre ses dents. En équilibre sur son échelle, il venait de réaliser qu’il n’avait plus du bois de chêne. Et il avait fouillé toute sa réserve ! Impossible de remettre la main sur le stock qu’il croyait avoir accumulé.

-Il faut vraiment que je commence à prendre note, grommela-t-il en redescendant prudemment.

Le bois de chêne n’était pas rare dans la fabrication de baguettes. Et même plutôt courant. Si on avait été en septembre, cela aurait certainement eut des répercussions sur les années suivantes. Qui sait si une génération d’étudiants était entièrement choisie par toutes les baguettes en bois de chêne ? Il pourrait dés lors assouvir à leur demande mais les années suivantes ? Si on comptait qu’il fallait sept mois pour réaliser une création (treize quand Ernie innovait), le fabricant était déjà en retard pour septembre prochain, et ce, même s’il était capable de jongler entre huit créations en même temps !

« Calme-toi… ». C'était simplement impossible qu’en une seule rentrée, ses stocks de baguettes en bois de chêne disparaissent complètement ! Ernie posa le pied à terre en soupirant pour la forme, mais en réalité, excité comme une puce. Sa conscience professionnelle exigeait un retour immédiat sur les routes ! Et pas n’importe lesquelles, celles qui menaient à la plus ancienne forêt du monde en Australie. Pour faire bonne mesure, il commença un inventaire précis du contenu de sa réserve. Cependant, Ernie était un homme prévenant et presque rien ne lui manquait. Ca sera donc un voyage rapide et donc, peu coûteux.

Souriant, il traversa son atelier en zigzagant entre les chaudrons, les tables recouverts de parchemins et les plantes diverses et variées. Sifflant Salem, son fidèle compagnon, il fit irruption dans sa boutique déserte et se laissa tomber sur le petit tabouret derrière le comptoir. A l’aide d’un sortilège d’Attraction, il se fit parvenir son agenda qu’il ouvrit avidement. Pas de commande à finir dans la semaine. C’était parfait !

Entre temps, son gros chien était arrivé avec ses habituels glapissements joyeux. Salem était un énorme berger allemand, pouvant paraitre agressif pour beaucoup mais en réalité, ayant un cœur d’or. Jamais Ernie n’avait du lever sa baguette vers lui, que ce soit de manière préventive ou pour le punir et il faut dire qu’il en était plutôt fier. De plus, Salem était le seul chien capable de comprendre la manœuvre de diversion face à un dragon. Pendant qu’il aboyait comme un diable pour attirer l’attention de la créature, son maitre avait tout le temps de s’occuper de ses petites affaires. Jamais Ernie n’avait tué un animal pour s’emparer de ce dont il avait besoin – face à un dragon, le ventricule était très prisé- cependant, il tournait autour des dragons vivants pour s’emparer d’un morceau de sa peau dur recouvrant sa queue. Ingrédient indispensable pour rendre le bois plus résistant que la normale.

-On repart mon grand ! S’exclama son maitre, tout en lui gratouillant les oreilles.

De l’extérieur, sa vie pouvait paraitre fort décousue : il enchainait voyages après voyages, expéditions après expéditions pour finalement une fois de retour chez lui rester enfermer des heures dans son atelier, sans revoir la lumière du jour. Pour le moment, jamais on ne lui avait refusé de passer d’un territoire à un autre. Les partisans du nouveau monde le toléraient encore, bien que l’animosité entre lui et ces derniers soit grande. S’ils savaient désormais se passer de baguette (ce qui rendait logiquement Ernie horrifié), ils ne détenaient pas encore le secret de leur fabrication. Quand aux Inquisiteurs, il parvenait assez facilement à les contourner. De toute manière, ce dont il avait besoin se trouvait toujours dans des contrées peu ou pas du tout habitées. Mais maintenant que le premier ministre moldu s’était fait assassiner, tout était redevenu tendu entre les différentes communautés…
Le petit grelot de la porte tinta joyeusement et le fit relever la tête par réflexe, toujours perdu dans ses pensées.

Ce ne sont pas le chapeau ou les lunettes fumées du client qui attirèrent l’attention de fabricant de baguettes. C’était son pit-bull. Ce dernier obéit à l’ordre de son maitre, mais regardait Salem avec méfiance. Et rien n’était plus dangereux qu’un animal méfiant, Ernie était bien placé pour le savoir. Il ne lui avait fallu qu’un seul regard pour que son chien comprenne ce qu’il voulait de lui. Il faut dire qu’ils étaient rôdés tous les deux. Salem s’assit au pied du comptoir et attendit, son regard  allant de son maitre au pit-bull, balançant doucement la queue, presque joyeux.

Ernie se leva pour accueillir comme il se devait son étrange client. Ce dernier retira ses lunettes et tira une bouffée de sa pipe. Si Yaxley n’avait pas parlé, il se serait probablement saisit de sa baguette dans un geste défensif. Que faisait le leader du Nouveau Monde dans sa boutique ?
Méfiant, il regarda l’homme qui voulait pervertir la noble magie avec ces ignobles technologies moldues, poser sa baguette sur son comptoir.

-Depuis quand avez-vous besoin d’une baguette ? Lui cracha Ernie au visage.

Comment osait-il mettre un seul pied dans sa boutique ? Si Ernie méprisait toutes les idées révolutionnaires et dangereuses des partisans du Nouveau Monde, leur leader ne le portait pas dans son cœur non plus. Rien de personnel bien sur. Juste une simple opposition d’arguments. Logique. Se pouvait-il qu’il soit confronté à un problème que la technologie ne pouvait résoudre ? Un plaisir malsain se répandit dans les veines du fabricant. D’abord parce que l’art délicat de la création de baguettes restait un mystère et que lui-même avait dés lors, une position enviable. Et seulement ensuite parce que la magie blanche était toujours, pour l’instant, « plus forte » que des inventions moldues.

En entendant le ton menaçant de son maitre, Salem grogna de concert avec lui. En baissant la tête pour calmer son chien, son regard s’attarda sur la baguette que le sorcier venait de lui présenter. En un coup d’œil il remarqua que le bois de saule avait souffert par endroit. Cela était fréquent dans les baguettes et la peau de dragon avait permit à Ernie de vendre à présent celles qui n’avaient plus besoin d’un entretien régulier.
D’un geste brusque, il se saisit de la baguette et l’examina de plus près en marmonnant malgré lui :

-Bois de saule, trente-trois centimètres, plume de phœnix, parfait pour la métamorphose et les potions… Ollivander, sans aucun doute.

Sans aucun doute…Sans aucun doute, se greffer des parties de sa baguette dans ses avant-bras devait avoir laissé des séquelles sur la principale concernée…Et pourtant, malgré les traces que le temps ne pouvait s’empêcher de laisser, la baguette n’avait pas été endommagée en son cœur, là où la magie « vivait ». Se pourrait-il que…

-Vous n’êtes pas Saevus Yaxley…

Polynectar ? Déguisement ? Mais pourquoi se balader avec la tête d’une personne détestée ?

Lorsqu’Ernie prononça le nom de Saevus Yaxley, le pit-bull se mit à aboyer violement. Aussitôt, Beller baissa la main vers Salem, sa paume à quelques centimètres de son museau, pour l’empêcher de répondre. Une bataille de chiens dans sa boutique était une très mauvaise idée. Il imaginait déjà le carnage qu’ils pouvaient engendrer. Et la porte de sa réserve restée ouverte… Cependant le chien du client avait l’air bien élevé. Dés que son maitre lui intimida de s’assoir, il le fit sans hésitation et la tension canine disparu. Pour le moment.

Malgré lui, Ernie sourit à la réplique de l’homme. « Il y a des noms qui la mettent d’une humeur de chien, voyez-vous ? ». En réalité, un rien le faisait rire et maintenant qu’il avait la confirmation de la non identité de son client, il se sentait légèrement embarrassé. Pour sa défense, il ressemblait à Yaxley comme deux gouttes d’eau ! Comme un frère… Ernie se frappa le front avec sa main libre.

-Vous êtes son jumeau ! Je suis désolé de ma méprise.

Le fabricant de baguettes savait que le leader du Nouveau Monde avait un frère. Mais ce fameux frère faisait moins souvent la Une des journaux que Saevus et l’opinion publique avait quelque peu oublié cette information. Ernie lui-même n’y aurait pas pensé s’il n’avait pas vu que la baguette provenait d’Angleterre. Et de nos jours Ernie n’avait pas souvent l’occasion d’examiner une création du meilleur fabricant britannique.

-Je peux vous la restaurer sans aucun problème.

Il caressa le bois d’un geste doux et s’approcha du client.

-Regardez… l’usure fendille peu à peu la baguette. Rien de grave rassurez-vous. La durée de vie d’une baguette de ce calibre dépasse notre durée de vie à tous. Néanmoins, si vous n’étiez pas venu, elle serait devenue de moins en moins puissante. Comme vous l’avez remarqué, elle commence déjà à être moins efficace. J’ai trouvé la solution parfaite pour parer à ce problème. C’est un peu stupide de ma part car je diminue moi-même le nombre de mes clients…

D’un geste ample, il fit apparaitre un bol d’eau sur le sol, juste devant Rosemary. Était-ce une manière inconsciente de se faire pardonner envers l’animal et son maitre ? Peut-être. Ernie s’était toujours bien entendu avec les créatures non humaines. En tout cas, sa démonstration lui avait permit de saisir l’ampleur de la maladresse de la baguette de son client.

-Avez-vous un peu de temps devant vous ? Demanda le fabricant en se relevant pour faire face à Yaxley. Je peux vous la restaurer en une petite heure.

La grimace de son client mit Ernie mal à l’aise. Il n’avait pas l’habitude d’ennuyer ses clients et sa remarque venait clairement de le faire. Fixant le visage de son interlocuteur, il ne pouvait s’empêcher de classer cette conversation dans la catégorie étrange. Comment ne pas être tourmenté par la ressemblance entre les deux frères ? Saevus était tout ce qu’Ernie méprisait et il devait se forcer à se répéter que son client n’était pas le leader des Partisans.

La satisfaction dans les yeux de Yaxley quand il apprit qu’il pouvait en effet la réparer faisait plaisir à voir. Ernie avait quant-à-lui possédé trois baguettes différentes. La première avait été fabriquée exprès pour lui par son père. Il l’avait malencontreusement brisée en l’analysant de plus près au début de ses études après avoir quitté l’école de sorcellerie américaine. C’est dans les créations de sa grand-mère qu’il trouva celle qu’il lui convenait pour remplacer cette dernière. Malheureusement, lorsque les Inquisiteurs encerclèrent Boston en 2020 et qu’Ernie essayait de passer au travers de leur ligne pour rentrer chez lui suite à un voyage pour son père, il fut rapidement découvert et on lui arracha la baguette qu’on détruisit sous ses yeux. Sa vie n’avait été sauve que par un pur hasard : un courrier vint prévenir ses oppresseurs qu’une machine était défectueuse et Ernie en profita pour se faire la malle. Sa troisième et, il l’espérait, dernière baguette, était la première qu’il n’ait jamais conçu. S’il avait donc été un mauvais élève pour l’entretien de ses propres baguettes, Ernie aimait voir que les propriétaires soient attachés aux leurs. Après tout, s’il n’avait pas été un Beller, et donc, s’il n’avait pas baigné dans la fabrication de baguettes, jamais il n’aurait pu en avoir trois qui l'aient choisi. Son cas était rare et il en était heureux. Pour chaque baguette qu'il créait, il espérait un destin long et heureux.

-D’accord, revenez quand vous aurez terminé. Ca fera cinq mornilles et trois noises. Mais vous pourrez me payer lorsque vous reviendrez.

Ernie lui fit un petit sourire et continua, un peu maladroit

-Dites, pour toute à l’heure. Je m’excuse de nouveau. Ca ne doit pas être facile tous les jours…