Seul dans sa cellule assis sur ce qui lui servait de lit et qui était loin d’être désagréable par rapport à ce qu’il avait déjà expérimenté, Bradley réfléchissait. Il n’y avait que ça à faire de toute manière et en général après les visites du chauve c’est ce qui arrivait. Il réveillait trop de souvenir, remuait trop de merde, auquel il n’avait pas envie de réfléchir. En général, lorsqu’il voulait fuir la réalité soit il baisait, soit il se shootait, soit il picolait, soit il faisait les trois, mais ici c’était un peu difficile de se procurer l’un ou l’autre. Putain fait chier !

S’allongeant sur son lit, les bras croisés derrière sa nuque, fixant le plafond, il se replongea des années en arrière lorsqu’il n’était encore qu’un enfant. Il ne se souvenait que très peu de sa vie avant l’arrivée de Tyler, mais il se souvenait que tout avait changé à son arrivé. Au début, il pensait que cet enfant à naître allait monopoliser le peu d’attention que ses parents lui accordaient et ça ne le mettait pas dans de meilleurs dispositions pour l’accueillir, à vrai dire, il n’en voulait pas. Pourtant Ty était la meilleure chose qui lui soit arrivé. Pour la première fois de sa vie, il était important pour quelqu’un, pour la première fois de sa vie, quelqu’un le regardait avec admiration, dépendait de lui et avait besoin de lui. Il était surement bien trop jeune pour s’occuper de son frère et avoir sa responsabilité mais il ne s’en rendait pas compte et il prenait plaisir à avoir ce petit frère constamment dans ses pattes d’autant que Tyler n’était pas un enfant pénible. Il était sage et faisait toujours tout ce qu’il lui disait de faire, et personne n’avait intérêt à le toucher, pas même leur père. D’ailleurs, ce dernier s’en prenait rarement à lui, il était trop jeune, trop faible, trop fragile pour supporter ses coups ou alors trop insignifiant. Bradley se souvenait de la première fois que Ty avait goûtée à la ceinture de leur vieux, lui avait 10 ans, et Ty 5 à peine. Une fois encore leur vieux était rentré complètement bourré et avait commencé à jouer au punching-ball avec leur mère, rien de neuf au bataillon et à choisir, Bradley préférait que ce soit elle que lui. Le boucan qu'ils foutaient l'avait réveillé et il s'était glissé du lit en veillant à ne pas réveiller son petit frère pour aller voir ce qui se passait. Est-ce qu'en bougeant il l'avait réveillé ou était-ce les cris de leur mère qui avaient fini par le réveiller ? Il l'ignorait, toujours était-il qu'il avait sentit ce dernier se coller contre lui afin d'observer ce qui se passait dans le salon bien à l'abri derrière son frère. Pourtant il ne resta pas bien longtemps caché derrière lui. Pourquoi avait-il fait ça ? Pourquoi avait-il défié l'autorité de leur vieux con ?! Il était pourtant habitué à cette violence quotidienne alors pourquoi avait-il fait ça ? Pourquoi avait-il voulu défendre cette poufiasse qui ne s’occupait même pas de lui ? Il n’aurait pas du se montrer, il n’aurait pas du se manifester, mais ce petit con n’avait rien trouvé de mieux que de se faire remarquer en balançant sa pauvre peluche miteuse en travers de la pièce. Son faible lancé ne lui avait pas permis de l'atteindre et de toute manière vu son arme, ça ne lui aurait pas fait grand chose s'il était parvenu à le toucher. Mais ce qu'il venait de faire, ce geste de rébellion était tout simplement inacceptable, et il allait très vite le regretter car on ne défiait pas son autorité impunément. Délaissant leur mère qui sanglotait sur le canapé en se cachant le visage il s’était dirigé vers eux le pas lourd et menaçant pour se saisir de Tyler qu’il avait soulevé comme un poids plume avant de le jeter sans le moindre ménagement sur leur lit. Dès qu’il avait vu sa main se diriger vers sa ceinture pour la déboucler, Bradley avait compris ce que cela signifiait, et avant qu’il n’ait eu le temps de réagir la lanière en cuir venait s’abattre sur son frère qui dans son malheur avait la chance de ne pas goutter aux morsures de la boucle en fer. Darlenne n'avait pas bougé en entendant les cris et les pleurs de son plus jeune fils, comme d'habitude... Elle pensait exactement comme lui lorsque c’était elle qui morflait « mieux vaut eux que moi ». Bradley la détestait de ne jamais venir les défendre et puisqu’elle ne faisait rien c’était à lui d’agir. Mais que pouvait bien faire un enfant contre un homme, et surtout un homme de cette corpulence ? La sentence ne s’était pas fait attendre et l'homme l'avait envoyé valdinguer à travers la pièce. Bien décidé à « éduquer » ses fils qui avaient osé lui manquer de respect, il avait attrapé Tyler par la peau du dos et l’avait attaché au radiateur. De là, en larmes il avait pu voir son père le battre par sa faute. Quand il en eut fini avec lui, il l'attacha à son tour au côté de son frère. En ayant terminé avec sa progéniture, le monstre avait rejoint leur mère au salon, leur mère qui n’était pas intervenue et qui n’avait pas levé le plus petit doigt pour leur venir en aide. Après le claquement d’une gifle, des râles de plaisirs et les grincements du canapé se mirent à résonner dans leur petit appartement miteux. Après avoir bien pleuré autant de terreur que de douleur, ils avaient passé la nuit attaché à ce putain de radiateur avant de s’endormir de fatigue pendant que le vieux baisait cette salope dans la pièce d'à coté. Bradley en avait secrètement voulu à son frère d'être intervenu. S’il n’avait pas fait ça, ils auraient pu éviter une raclée malgré tout, il ne pouvait jamais lui en vouloir très longtemps, tout ce qu’il espérait c’était que ce dernier avait compris la leçon et ne recommencerait plus de si tôt un acte aussi stupide.
Si leur vie était loin d'être rose, ils connaissaient heureusement des moments de petits bonheurs, lorsqu'ils traînaient tous les deux jusqu'à pas d’heure dans le quartier qu'ils connaissaient comme leur poche. Une telle liberté qui frôlait l'inconscience lorsque l'on voyait leurs jeunes âges et l'heure tardive à laquelle ils regagnaient leur domicile. Mais ils n'en n'avait pas conscience tout ce qu'il voyait c'est qu'ils était libre de courir, crier, faire les 400 coups jusqu'à pas d'heure parce que leur mère recevait « un oncle » et qu’ils n’avaient surtout pas intérêt à la déranger. Ils avaient le choix entre rester enfermer dans leur chambre sans faire de bruit et entendre tout ce qui se passait dans la pièce d'à coté, soit rester dehors. Il n'y avait même pas à réfléchir. Ils se fabriquaient des voitures de courses de fortunes à l'aide de cordes, de caisse, de vieux landaus trouvés dans les poubelles ou encore de caddie piqué dans les supermarchés, mais ce qu'ils aimaient le plus c'était au moment des grandes chaleurs lorsque les rues devenaient leur piscines privées et qu'ils pouvaient profiter des bouches à incendie qui se transformait en de véritables fontaines sous lesquels ils aimaient jouer, puis après s'être trempés, ils allaient se sécher au soleil en lézardant sur les toits des immeubles après avoir piqués quelques comics chez le libraire du coin. Il adorait voir l'expression admirative apparaître sur le visage de Tyler lorsqu'il volait des barres de chocolat ou des comics pour eux sans se faire prendre.

Bradley avait toujours pensé qu'il n'éprouvait pas de réel attachement envers sa mère qui n'était qu'une pute comme le disait lui-même leur père. Il avait un souvenir particulièrement marquant de cette dernière après le départ d'un de leurs oncles. Cette fois là, ils n'étaient pas sortis parce que Tyler était tombé malade et qu'il devait s'occuper de lui au cas où il se réveillerait, mais Darlenne l'avait tellement bourré de médoc pour être certaine qu'il ne se réveillerait pas et ne la dérange pas que Bradley ne s'était pas réellement sentit très utile à rester enfermé dans cette chambre. Lorsque tout était redevenu calme, il avait fini par s'aventurer dans le salon dans lequel se trouvait toujours sa mère, qui somnolait sur le canapé, telle une épave, la robe retroussé, exhibant ses cuisses blanches et molles. Sur le sol gisait sa petite culotte en dentelle tandis que dans le cendrier se trouvait un préservatif usagé...
Comment cette femme pouvait-elle lui inspirer le moindre respect ? C'était impossible...
Et puis il y a eu cet accident, cette fois ou cette pauv’ conne s’était brûlée vive en foutant le feu dans son pieu et en cramant l’appartement. Lui n’était pas là, il avait 14 ans et commençait à profiter de ses autres copains, laissant de plus en plus souvent Tyler avec ceux de son âge. Bradley aimait toujours autant son frère mais il appréciait parfois de ne pas toujours avoir besoin de jouer à la nounou et d'être avec des copains de son âge, d'autres gosses qui comme eux avaient des parents qui ne semblaient pas remarquer leur absence et avec lesquels il commençait à découvrir certaines nouvelles expériences que Tyler était encore bien trop jeune pour expérimenter comme fumer, ou draguer les filles et leur faire certaines choses... Si Tyler avait assisté à l'arrivé des pompiers et à leur incapacité à pouvoir intervenir pour maîtriser l'incendie, lui, ne l'avait découvert qu'après coup, lorsqu'on était venu le chercher pour l'informer de ce qui venait d'arriver chez lui. Bradley avait tout laissé tomber séance tenante pour filer retrouver son petit frère.
Avec leur père, ils furent placés dans un foyer le temps que ce dernier puisse se retourner et trouver un autre logement. Bien que la présence de Darlenne leur manquait d'une certaine manière, ils ne pouvaient prétendre être particulièrement traumatisé par sa perte. Ils avaient été triste pendant quelques jours puis la vie avait repris son cours et Bradley s'inquiétait de se retrouver seul avec son père. Au moins du vivant de Darlenne, ils se partageaient les coups mais à présent, allait-il en bouffer pour deux ? Tyler aussi avait peur de se retrouver seul avec leur père, cela se sentait à sa manière d'être constamment collé à sa basque. Seul point positif de cette histoire, le foyer dans lequel ils avaient trouvé refuge leur avait offert des vêtements neufs. Jamais de toute leur vie ils n'en n'avaient eut d'aussi beaux...

Puis la vie avait repris son cours. Leur père avait trouvé un nouvel appartement qu'il transforma très vite en un véritable taudis tandis qu'eux étaient livrés à eux-mêmes. Plus les années passaient plus Bradley avait appris à s'endurcir traînant constamment en ville avec son frère et la petite bande qu'ils s'étaient constitués. Bradley avait fini par se faire un nom qui invitait au respect. Tout le monde savait qu’il valait mieux ne pas faire chier un Lennox quel qu’il soit et l’aîné des Lennox aimait ce sentiment de puissance qu’il avait sur les autres. Sur les autres... hormis son père. Cet homme avait un ascendant sur eux, que lui-même ne parvenait pas à s'expliquer. Lorsqu'on le provoquait ou qu'on le regardait tout simplement de travers, Bradley savait faire ravaler à leurs auteurs la moindre provocation dont on l'affublait à lui ou à son frère. En baston il ne craignait personne, mais face à son père, il se retrouvait totalement démuni. Cet homme le terrorisait purement et simplement c'était une évidence même s'il n'était pas prêt à l'avouer à haute voix. Et c'était uniquement pour cette raison qu'il avait fuit sans se retourner. Devant son frère, il n'avait pas pu s'empêcher de jouer les gros bras, arguant que s'il n'était pas parti il aurait fini par le tuer, mais tout cela c'était du pipeau si l'un d'eux aurait fini par mourir ce n'était sûrement pas son père. Ça le tuait de savoir qu'il avait lâchement abandonné son petit frère entre ses mains et c'était la raison pour laquelle il avait commencé à se perdre dans l'alcool et les paradis artificielles. Cela lui permettait d'oublier, d'oublier ce qu'il avait fait, ce qu'on lui avait fait et surtout cela lui avait permis de faire semblant de ne pas voir que son frère était aussi maltraité et effrayé par leur vieux que lui..
Après un énième séjour à l'hôpital avec blessure à l'arme blanche, Tyler qui avait 15 ans, grâce à l’impulsion d’Elias avait enfin été arraché à leur père par les services sociaux. Tyler avait été placé dans une nouvelle école, et Bradley s'imaginait que tout ceci était enfin derrière eux, que plus jamais leur père ne les toucherait à présent,... comment avait-il pu croire cela ? Il n'était pas naïf pourtant, il connaissait le monstre, mais il aimait se bercer d'illusion, parce qu'il avait l'impression qu'un avenir possible pouvait s'ouvrir à eux. A son 21ème anniversaire il pourrait sortir Ty du foyer dans lequel il avait été placé et s'occuper de lui si le juge l'en estimait digne. Il avait trouvé un boulot dans un garage qui lui plaisait énormément accentuant par la-même sa passion pour les deux roues qu'il communiquait à son frère. Ce dernier avait toujours des lacunes à l'école mais il était visible qu'il faisait des efforts pour les combler. Il ne ferait peut-être pas de longues études mais au moins lui pourrait sortir diplômé. Bradley s'entendait très bien avec le propriétaire du garage, un homme âgé dont le fils était devenu banquier et qui ne voyait que très peu son père dont le garage ne l’intéressait absolument pas. Bradley avait dans l'espoir de récupérer un jour la petite affaire de cet homme. Malheureusement, après 5 mois de pur bonheur, le petit garage dans lequel il travaillait a été racheté par un gros concessionnaire qui ne cherchait qu'à se faire du blé. Au bout de 5 jours Bradley avait prit la porte non sans avoir cassé la figure à ce gros crevard. Il avait très vite trouvé un autre job, bien moins intéressant, non plus dans un garage, mais dans un abattoir. Le travail n'était pas facile mais il permettait au moins de payer le loyer.

Et puis un soir, la veille du 16ème anniversaire de Tyler pour qui il préparait une surprise depuis quelques temps déjà, il eut ce coup de téléphone d'Elias Fernandes, un copain de Tyler qui avait quitté leur bande depuis quelques temps et dont il n'avait plus vraiment de nouvelles. C'était la première fois qu'il l'appelait et ce qu'il lui révéla ne servit qu’à doubler l'inquiétude qu’il ressentait. Le ton de sa voix n'augurait rien de bon et glacèrent les sangs de Bradley. Un petit voisin de leur père du nom de Pea avait contacté Elias pour l'informer que ce dernier était rentré en portant Ty. Inquiet Bradley avait aussitôt raccroché pour se diriger vers cette maison où il avait pourtant jurer de ne plus jamais remettre les pieds. Le spectacle qui l'attendait lui retourna l'estomac et pourtant des horreurs dans sa vie il en avait déjà vu plusieurs. Son frère était allongé là dans la cuisine, attaché au radiateur. Jamais, il n'avait vu autant de sang se répandre sur le sol et son frère ne bougeait plus. Sur le coup, il avait même pensé être arrivé trop tard, pensé que son frère était mort... Pour la première fois, un sentiment de haine et de colère le submergea, un sentiment suffisamment puissant pour parvenir à faire fi de cette peur que le vieux lui avait si souvent inspiré, suffisamment violente pour lui inspirer des envies de meurtre. Tout s'était passé si vite que Bradley en gardait des souvenirs flous ou peut-être était-ce sa façon à lui de se protéger... Sa main avait attrapée un de ces couteaux de cuisine qui traînait sur la table de travail et après une confrontation physique avec leur vieux il l'avait poignardé une fois d'abord, puis une seconde puis une troisième... sans plus pouvoir parvenir à s'arrêter. Il voulait qu'il crève et qu'il souffre pour tout le mal qu'il leur avait fait. Lorsque le corps sans vie de leur père s'était écroulé dans la cuisine et que son sang se mêla à celui de son frère, Bradley resta un long moment immobile incapable de bouger, jusqu'à ce que sa main ensanglantée ne lâche finalement l'arme du crime qui se mit à rebondir plusieurs fois sur le carrelage froid de la cuisine. Sortant de sa torpeur il s’était dirigé vers son frère avant de réaliser avec soulagement qu’il respirait toujours. Il l’avait détaché puis, il avait foutu le feu avant de l’emmener aux urgences où il avait vécu les heures les plus sombres de sa vie. Pendant 4 jours les médecins ne se prononcèrent pas sur son état de santé, pendant 4 longs et interminables jours son frère était resté entre la vie et la mort, pendant 4 jours, Bradley avait fait ce qu’il n’avait pas fait depuis longtemps, il avait pleuré.


Tous ces souvenirs le remuait. Se relevant de son lit, Bradley observa la cage à lapin dans laquelle il se trouvait à cause de ce même frangin pour qui il avait tué sans hésitation afin de lui sauver la vie. Après cette histoire Bradley, qui était sans ressources, avait renoué avec certaines mauvaises habitudes et surtout certaines fréquentations. Pourquoi s’embêter à se lever pour aller bosser, être traité comme un chien et payé une misère comme tous ces autres pauvres cons de pantins, alors qu’il était si facile de se servir pour prendre ce dont on avait besoin ? Il préférait vivre comme un marginal, sans contrainte ! Glander, se lever, décider du programme de la journée, faire la fête, baiser… que demander de plus ? Il n’avait besoin de rien d’autres. Il avait quitté New-Phoenix pour mettre une certaine distance entre lui et son frère, non pas qu’il lui en voulait c’était même tout l’inverse. Il voulait lui donner une chance de s’en sortir, Tyler lui avait prouvé qu’il était loin d’être idiot et qu’il pourrait avoir un diplôme de fin d’étude s’il s’en donnait la peine ce qui pourrait probablement lui ouvrir de meilleurs perspectives qu’à lui. En restant à ses cotés, Bradley était persuadé que son frère subirait sa mauvaise influence et que cela ne donnerait rien de bon…
Jusqu’à récemment, il avait toujours pensé qu’en définitive son frère n’avait pas mieux réussi que lui mais il se trompait. Ce petit con était devenu flic… Et en plus de ça, il se tapait une bombe comme Imane Khazen alors même qu’il s’inquiétait sérieusement de son absence de sexualité. Bien qu’il lui en voulait encore de l’avoir trompé et menti durant toutes ces années, et surtout d’être responsable de son incarcération, une partie de lui ne pouvait s’empêcher d’être fier de sa réussite. Au moins, il y avait un Lennox qui était parvenu à s’en sortir, ce qui, quand on y réfléchissait, n’était déjà pas si mal.