La nuit du chasseur
Partie 2

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Cela faisait maintenant plusieurs heures que la nuit était tombée, et bien que les étages supérieurs de l'immeuble qui abritait les bureaux du FBI grouillaient encore d'une activité ininterrompue, ici, dans les sous-sols, il n'y avait plus âme qui vive depuis plus de deux heures.
Les couloirs, déserts, s'étiraient dans la terre telles des galeries abandonnées par des fourmis endormies ou lassées de leur labeur.
Il n'y avait personne, pas un chat, pas un son, si ce n'est le ronronnement rassurant d'une ventilation. Des pièces vides de présence humaine s’enchaînaient les unes derrières les autres, renfermant autant de secret que de mystère, dans une pénombre de crypte.

Celle qui l'intéressait ne semblait pas différente des autres, avec cette impression de ne jamais avoir servie tant elle était propre et rangée. Des étagères et des meubles en inox s’étalaient le long des murs gris clair, standard et conforme, et une table, elle aussi en métal, siégeait au centre de la pièce comme le trône lugubre de quelque monarque pourri.
L'air était saturé d'odeurs fortes de javel et de produit d’entretien. Ça vous piquait le nez et le cerveau, perturbant l'odorat sans pour autant cacher l'odeur tenace de la mort qui rampait tout autour, sournoise et insidieuse. Le sang et la putréfaction, sous une couche tenace de détergeant. Infecte.
Rien ne traînait, pas le moindre papier, par le moindre outil chirurgicale, rien. Rien même sur le petit bureau qui se cachait discrètement dans un angle de la pièce sombre qu'il observait en silence. L'aseptisation de l'endroit avait quelque chose de malsain, de dérangeant, comme s'il savait que quelque chose de sale si était passé, comme si une vérité horrible l'y attendait.

Khaaleb se tenait dans l'encadrement de la porte, immobile depuis plusieurs minutes, une ombre parmi les ombres, plus semblable dans la pénombre à une bête sauvage tapie et à l'affût qu'à un véritable être humain. On y voyait à peine dans cette pièce, il n'y avait pour toute lumière que la veilleuse au dessus de la porte représentant le pictogramme d'un homme en pleine course, dans un halo de lumière verdâtre qui donnait à la scène un air malade et vicié. Pourtant, le loup n'avait pas besoin de plus pour y voir comme en plein jour. Les loups étaient ainsi, des êtres de la nuit, et leur corps changeait pour cela, pour s'adapter à exceller dans un milieu nocturne.

Sans savoir ce qui le décida à bouger, le sorcier bougea, quittant son observation pour traverser la pièce aux meubles en inox brillant et lustrés. Lorsqu'il posait un pied au sol, aucun bruit n'en résultait : le linoléum absorbait tous les sons, le faisant passer pour un fantôme errant en silence dans les couloirs déserts.
Enfin, le jeune homme arriva devant un des quatre murs de la pièce, celui qui se trouvait à l'opposé de la porte d'entrée. Ce mur là était différent des trois autres, il n'était pas peint, et on n'y avait pas non plus accroché d'étagère en métal pour y poser boite de gants stériles et tablette numérique. Non, sur ce mur là, il y avait des portes. Plein de petites portes en inox, avec sur chacune une belle poignée pour les ouvrir et un petit numéro gravé dessus. Même s'il ne devait pas y en avoir plus de dix, il semblait à Khaaleb qu'il y en avait un millier, alignées sur le mur comme les alvéoles d'une ruche. Il sentit sa gorge se nouer. Il savait ce qu'il y avait derrière ses petites portes rectangulaires. Il savait QUI il y avait.
Le loup leva la main droite. Dans son poing fermé se trouvait sa baguette qui s'alluma d'une lueur faiblarde et bleutée, froide comme la glace. La pointant vers les petites portes, il passa de l'une à l'autre, lisant les numéros qui y étaient inscrit. Très vite, il identifia ce qu'il cherchait et il se figea, cessant même de cligner des yeux pendant un moment.
Il pouvait toujours faire marche arrière, ne pas ouvrir cette porte, rentrer chez lui et faire comme s'il n'avait pas su, comme si cette histoire n'existait pas. Mais il était déjà trop enfoncé dans cette histoire pour faire marche arrière, et quelque chose au fond de lui avait besoin de savoir, de comprendre.
Serrant la poignée de la petite porte de sa main gauche, le sorcier la fit pivoter et tira d'un coup sec. Le battant en métal s'ouvrit, dans un bruit de souffle qui s'échappe, et un air froid et saturé d'odeurs médicales vint lui piquer la peau du visage. Un nuage de vapeur sortit de sa bouche. Derrière la porte se trouvait une cavité rectangulaire qui semblait s'enfoncer dans le mur sans jamais s'arrêter. On n'y voyait rien, pas même une silhouette, mais lui savait ce qui s'y cachait.
Attrapant la poignée du chariot sur lequel le corps était placé, Khaaleb tira, et dans un bruit de roulement, la dépouille sans vie de Ned Dekker apparut à la lumière de sa baguette.
Le loup en eut le souffle coupé.
Ce n'était pas le premier cadavre qu'il voyait, il y en avait eu avant lui, peut être même qu'il y en avait eu trop. Sofia, Will... à chaque fois c'était comme si on lui enfonçait un couteau dans le ventre, en y taillant de grandes et profondes entailles. Une douleur terrible, déchirante.
Le visage de Ned était méconnaissable. Le jeune homme avait eu un accident alors qu'il était au volant de sa voiture. L'airbag ne s'était pas déclenché et sa tête avec percutée le volant à toute vitesse. C'était à peine s'il pouvait encore le reconnaître. Pourtant c'était lui, il n'y avait pas de doute possible.
Lorsque Tyler lui avait appris sa mort, le Géri n'avait pas voulu y croire, comme souvent lorsque l'on vous apprend une nouvelle pareille. Lorsque l'on nous apprend la mort d'un proche, il y a toujours ce moment de doute, le doute de la mauvaise blague, le déni, l'impossible de la chose. Et puis on voit dans le regard de l'autre qu'il n'y a ni blague ni mensonge, on y lit la peine, parfois même la compassion, et alors on sait que c'est vrai. On sait que la mort a frappé.
C'était le cas ici aussi. Khaaleb avait espéré au fond de lui que c'était une erreur, que l'homme qu'il trouverait dans le frigo de la morgue de FBI ne serait pas son ami, qu'il y avait eu méprise, échange, mais c'était bien lui, malgré les hématomes, malgré le crâne défoncé et le grand V découpé dans son torse, c'était bien Ned Dekker qui se tenait mort là juste devant lui et dont il ne parvenait à détacher le regard. Le visage souriant, joyeux dont il se souvenait, se substituait à celui ci, défiguré, monstrueux.

C'était trop, beaucoup trop. Le loup sentait ses jambes trembler sous lui, menaçant de ne plus le tenir debout plus longtemps. Toujours incapable de respirer, il appuya son dos contre le mur de portes en inox et se laissa glisser jusqu'au sol où il s'effondra comme une poupée de chiffon.
Ses yeux lui piquaient, s'embrumant, troublant sa vision. Des mots semblaient vouloir sortir de sa bouche, des cris, des hurlements de douleur, de peur aussi mais tout restait coincé dans sa gorge, rien ne sortait, comme lorsqu'on reçoit un coup trop fort et qu'il faut un temps à l'organisme pour passer le choc. Des sanglots silencieux le secouaient comme une feuille. Incapable de supporter la lumière que produisait sa baguette, il la lâcha, la laissant tomber au sol. Remontant ses genoux contre lui, il se prit la tête dans les mains, se recroquevillant comme un enfant apeuré sous le cadavre de son frère loup. Il savait que Ned n'était pas le seul, il savait qu'il y en avait d'autres , des loups derrières les autres petites portes, il pouvait les sentir, mais il ne voulait pas en voir plus, il ne pouvait pas.
Tout fort et grand qu'il était, en cet instant Khaaleb se sentait plus faible qu'il ne l'avait jamais été, plus encore que lorsque la maladie avait bien faillit le terrasser.
C'était trop, trop pour un seul homme. La situation qui n'était déjà pas simple avant lui échappait aujourd'hui totalement. Tout s'était accéléré sans qu'il ne puisse rien y faire, et que lui restait-il maintenant ? Il ne savait plus, il ne savait plus quoi faire ni ou aller.
Lorsque Tyler lui avait parlé de ces histoires de loups morts de causes naturelles, lui non plus n'y avait pas cru, malgré tout ce qu'il avait pu dire à son ami. Lui mentir avait été une souffrance terrible, contre nature, mais si vraiment il y avait quelque chose de sale derrière cette histoire, il ne voulait pas que l'agent du FBI s'en mêle. C'était une histoire de loups, et il devait tout faire pour protéger son ami.
Dans un premier temps, Khaaleb avait fait profil bas, fouinant et enquêtant de son côté, discrètement, sans en parler à personne. Personne de toute façon ne savait qu'il était en contact avec des loup-garous non-déclarés, et il s'assurait de ne laisser aucune preuve de ça en procédant à ses investigations. Mais très vite, le sorcier avait été confronté à ses difficultés, n'ayant accès à aucun document de l'enquête officieuse que menait Tyler. Tout ce qui touchait aux loup-garous était presque tabou, quelque fut le gouvernement avec lequel vous traitiez, et il s'était très rapidement retrouvé face à un mur, un cul-de-sac.
Et puis le mariage de Cécil était arrivé, lui offrant une distraction dont il se serait bien passé. Lui qui aimait d'ordinaire la fête et ce genre de célébration n'y voyait plus qu'une mascarade grotesque dont il avait hâte d'être débarrassé, se forçant malgré tout à tenir son rôle. Il s'était décidé à révéler l'affaire à Cécil juste après le mariage, après tout, il était son Marrok, son supérieur au sein de leur communauté, il se devait de lui dire. Il espérait qu'à deux, ils trouveraient plus vite des solutions, que l'affaire se réglerait vite. Mais il s'était alors passé quelque chose auquel il s'était préparé sans jamais l'accepter.

Il y avait eu cet échange, seul à seul, Marrok et Géri dans le bureau, pendant la répétition du mariage. Il y avait eu ses mots, cet abandon, et ce poids nouveau sur ses épaules. [cf Ain't no grave]
Cécil n'était plus le Marrok de la Grande Meute Américaine. Le monde qu'il connaissait depuis dix ans s'effondrait, et avec lui tout ce dont il avait toujours rêvé. Tout ce qui était déjà fragile et instable était désormais au bord de la rupture, et lui se retrouvait aux commandes d'un navire à la dérive dans un océan déchaîné.

Le plus ironique, c'est que tout le monde semblait savoir parfaitement ce qu'il devait faire, alors que lui l'ignorait totalement. Ou peut être le savait-il, mais sans le vouloir ni l'accepter. Ils étaient tous venus le voir, lui disant que c'était le bon moment, que c'était ce qu'il fallait. Thalya avait parlé de « devoir », Anahia de « destin », mais ils ne pouvaient pas savoir, elles ne comprenaient pas.
Devenir Marrok. Comment le pouvait-il ? Il n'y avait pas que l'impossibilité administrative, il y avait qu'il ne s'en sentait ni la force, ni la légitimité. Il y avait trop de morts autour de lui, trop de fantômes désormais, des gens qu'il n'avait pu sauver. Comment demander la confiance de sa communauté s'il n'avait pas sa confiance en lui-même. Comment les regarder en face ? Il ne pouvait mentir sur le fait qu'il n'y avait jamais pensé, mais aujourd'hui les choses avaient changées. Il avait pris sa décision.

Quitter la Grande Meute Américaine après s'être assuré de la laisser entre les meilleures mains qui soient, régler cette sombre affaire de mort de loup-garous non-déclarés, se consacrer à son travail au MACUSA, reprendre une vie normale, un jour. C'était ce qu'il avait décidé, mais il sentait au fond de lui que comme toujours, rien de ce qu'il avait choisi ne pourrait se réaliser.
Ce constat de voir son libre arbitre lui échapper le rendait las, dépité, mais c'était ainsi, c'était son chemin, sa croix.
Rejetant la tête en arrière, Khaaleb renifla bruyamment à plusieurs reprises. Il ne savait pas combien de temps il était resté comme ça prostré contre terre. Quelques secondes, des minutes, des heures ? Il se sentait fatigué, chaque muscle lui faisait mal tout comme sa tête qui bourdonnait. S'essuyant les yeux et le nez du dos de la main, le géant attrapa le brancard sur lequel Ned Dekker était toujours étendu et se hissa debout non sans difficultés. Son épaule lui faisait toujours mal, une blessure qui, il le savait, le suivrait tout le reste de sa vie.
Quelques secondes encore il resta à regarder le visage sans vie de cet homme qu'il avait connu, serrant dans sa main celle froide de cet ami avec qui il ne parlerait jamais plus. Il devait se reprendre, se ressaisir. Il devait agir, quelque soit ses décisions, quelque fut ce destin qui lui échappait toujours, il devait trouver ce qui n'allait pas dans cette affaire, comprendre comment cinq loups visiblement en parfaite santé s'étaient retrouvés dans ses petits frigo de la morgue du FBI derrière ses portes en inox brillant et lustré. Il leur devait à eux, ses frères.

Se détournant du corps du loup, le sorcier se tourna vers le petit bureau qui se trouvait dans un coin de la pièce. Il devait lire les rapports d'autopsie, et il espérait les trouver dans les tiroirs du meuble ou sur l'ordinateur qui s'y trouvait. De prime abord, Tyler l'avait dit, rien dans ces morts ne justifiaient une enquête. Crise cardiaque, insuffisance rénale, accident de la route... rien d'anormal... et pourtant anormal lorsque l'on savait qui étaient ces hommes que la mort était venue prendre. Le loup intérieur qui résidait au fond de chacun d'entre eux les rendaient plus forts, plus résistants, si bien qu'il ne pouvait pas croire que ce soit la nature qui soit à l'origine de tout ça. C'était forcément autre chose... mais quoi ? Quel était le point commun ? Quel était le lien ? Et surtout... pourquoi étaient-ils morts ? Ses questions en tête, Khaaleb commença à ouvrir les tiroirs du bureau, soulevant les papiers qui y étaient rangés.

Mais alors qu'il sortait une liasse de dossier, une odeur se dégagea de celle tenace et persistante de la javel, une odeur qu'il connaissait bien. Celle d'un coyote.

La nuit du chasseur - partie 2
ft Khaaleb et Tyler

Tyler avait l'habitude d'observer les gens, de décrypter chacune de leurs réactions aussi infimes soient-elles, car il le savait, il l'avait appris au fil des années, que même le plus grand joueur de poker avait ses petites manies et que tous les menteurs aussi habiles soient-ils finissaient toujours pas se trahir. Très peu de personnes étaient capables de mentir avec aisance sans se laisser trahir par la gestuelle de leur corps et lorsqu'il s'agissait d'un proche, d'un ami comme l'était Khaaleb, s'était une chose encore plus aisée pour une observateur entrainé comme lui, de percer à jour les mensonges. Pour commencer, lorsqu'il avait cité les noms de Lo et Berkley, Khaaleb était resté stoïque, fixant un point d'horizon droit devant lui pour éviter son regard et pouvoir prétendre qu'il ne les connaissait pas. Le Khaaleb qu'il connaissait et qui n'aurait rien eut à se reprocher, se serait tourné vers lui en fronçant ses sourcils broussailleux pour en savoir plus. Lorsqu'il avait ensuite parlé de Smith et Simons, Khaaleb avait gardé la même attitude fermé mais lorsqu'il fut question de Dekker, le masque de l'indifférence affiché se craquela subitement pour laisser place à la stupeur, et si Tyler avait déjà compris que les noms qu'il avait cité juste avant ne lui étaient pas inconnus, sa réaction face au dernier venait de le trahir totalement.
Tyler ne comptait pas entrer dans son jeu en prétendant qu'il le croyait pour la simple et bonne raison que ça l'arrangeait ou pour préserver leur amitié, mais il n'était pas là non plus pour lui faire un procès ou lui faire le moindre reproche, tout ce qu'il voulait c'était que Khaaleb lui fasse suffisamment confiance pour lui révéler ce qu'il savait à leur sujet, pour qu'il coopère de manière informel à cette enquête qui l'était tout autant.

Mais c'était sans compter ce lien si particulier qui unissait les loups, et si Tyler se rembrunit en réalisant que Khaaleb ne lui faisait pas suffisamment confiance pour s'ouvrir à lui, il comprit à regret que ce que Khaaleb voyait avant tout, c'était son insigne plus que l'homme qu'il était. Pensait-il vraiment qu'il allait le condamner parce qu'il taisait des noms de loups-garous non déclarés ? Qu'il allait lui porter préjudice ? Tyler ne pouvait nier qu'il n'appréciait pas que son ami couvre des individus potentiellement dangereux en taisant leurs noms, non seulement parce qu'ils étaient une menace potentielle mais surtout parce que Khaaleb faisait bien trop facilement confiance au gens et qu'un jour ça pourrait se retourner contre lui, lui faisant perdre tout ce qu'il avait acquis jusqu'ici. Khaaleb n'était ni stupide, ni naïf mais son bon coeur en faisait une proie facile. Le visage fermé, Tyler l'écouta se rattraper avec adresse lorsqu'il évoqua Ned Dekker. Peut-être bien que le Geri de GMA disait vrai, peut-être bien que cet homme songeait effectivement à se déclarer, mais Tyler n'était pas stupide, et la réaction de Khaaleb avait été bien trop vivace pour une personne qu'il prétendait n'avoir croisé qu'une fois dans sa vie.

- Je ne suis pas ici pour comprendre les raisons qui les poussent à garder secret leur lycanthropie, le coupa Tyler, mais toi je te trouve bien conciliant à leur égard

Tyler n'était pas ici pour discuter des bien fait ou non de la loi de recensement des lycanthropes qui obligeait ces derniers à se déclarer et à révéler leur appartenance à cette communauté. Cette loi n'était surement pas parfaite, comme toutes les lois du reste, mais elle existait. Tyler n'était pas comme Elijah qui pensait que toutes lois devaient être aveuglément respecté mais il avait assez de bon sens pour savoir qu'elles n'avaient pas été promulgués sans raison.
Son regard s'était posé sur Khaaleb qui l'avait mis en garde en lui demandant expressément de ne pas fourrer son nez où il ne devrait pas. Face à son conseil, Tyler avait gardé le silence, s'abstenant de lui répondre ce qui était pourtant, à ses yeux, une évidence. S'il craignait les conséquences de chaque enquête qu'il entreprenait, il n'aurait jamais fait se métier. Khaaleb oubliait un peu vite qu'il avait travaillé en tant qu'infiltré pendant 18 longues années et que des types dangereux, prêt à vous abattre en un claquement de doigts ou à vous faire regretter d'être né, il en avait fréquenté toute sa vie. Bien sur les choses étaient différentes aujourd'hui et pour la première fois de sa vie, il avait beaucoup à perdre, mais c'était aussi pour elles qu'il faisait ce travail, parce qu'il voulait se battre à sa manière, pour rendre le monde plus sur, même s'il avait bien conscience de ser bercer d'une douce utopie. Sous-estimait-il la communauté lycanthropique pour autant ? Absolument pas, mais ce n'était pas ça qui allait le faire reculer...

- Peut-être... s'était-il contenté de répondre sans plus de conviction à l'hypothèse de Khaaleb qui voulait naïvement lui faire croire que toutes ces morts n'étaient probablement dû qu'à un malheureux concours de circonstances...

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Cela faisait quelques jours à peine que Khaaleb et lui avaient eut cette conversation, mais Tyler la revivait comme si elle venait tout juste de se produire. Il connaissait suffisamment son ami pour savoir que cette mise en garde qu'il lui avait formulé en lui demandant de rester en dehors de tout ça, n'avait pas pour but de laisser tomber ce début de piste que Tyler avait flairé, c'était même tout l'inverse. Khaaleb comptait bien mener cette affaire à terme, mais seul...
La communauté Lycanthropique, au même titre que leur ennemi séculaire ou encore les sorciers, aimaient généralement régler leurs problèmes entre eux, au sein mêmes de leur communauté de préférence sans aide extérieur, mais si le Géri pensait qu'il allait le laisser agir tranquillement dans son coin, sans réagir, il se trompait lourdement
Tyler avait donc attendu, patientant que le loup agisse, mais les jours passaient et rien ne se produisit. Peut-être s'était-il trompé après tout... c'était du moins ce dont il essayait de se convaincre sans grande conviction, parce qu'il avait beau ne rien s'être passé, son instinct lui hurlait que Khaaleb n'abandonnerait pas. Tyler avait perdu un ami très cher parce qu'il n'avait pas été là pour lui, tout à son bonheur il en avait oublié l'essentiel et n'avait pas été fichu d'être à son écoute. Eliàs lui, avait toujours été là pour lui, pour l'épauler, et ce, depuis qu'ils étaient gamin. Sans lui, il ne serait pas là aujourd'hui. Les mois avaient beau s'écouler, penser à celui qu'il avait longtemps considéré comme un frère, était toujours aussi douloureux. Il avait déjà perdu un ami, il n'était pas question qu'il en perde un deuxième.  

Comme pour confirmer ce qu'il savait au plus profond de son être, la silhouette massive et si reconnaissable de Khaaleb était apparut sur son écran. Rongeant l'ongle de son pouce, il avait suivi son évolution à l'aide des différents écrans de surveillances qui pullulaient dans ce bâtiment. Il le vit ainsi traverser le sous-sol pour se diriger vers la morgue. Qu'était-il venu chercher exactement ? Il avait observé par écran interposé, chacune des actions de Khaaleb jusqu'à ce qu'il ouvre le tiroir dans lequel reposait Ned Dekker avant sa prise en charge. Voir un mort n'était pas chose aisée, et selon les sensibilités de chacun, cela pouvait s'avérer être une véritable épreuve mais lorsque ce mort était un ami proche c'était sans comparaison. En voyant le loup s'effondrer, Tyler avait coupé net l'écran de contrôle. Il en avait assez vu et ne souhaitait pas en voir davantage. Jouer les voyeurs dans un moment aussi intime de désespoir, tristesse et recueillement, très peu pour lui.
Passant sa main sur son visage, il observa cet écran désormais noir qui lui faisait face avant de se lever de son fauteuil. Se dirigeant vers la fenêtre de son bureau, il observa le paysage nocturne de la ville tentaculaire qui s'étendait sous ses pieds et dont il ne se lasserait probablement jamais. En pleine journée, la vue qu'il avait sur la ville était celle d'un paysage urbain quelconque avec ses briques, ses grattes-ciel, ses rues, ses bouchons, mais une fois la nuit venue, elle se parait de ses plus beaux atours et étincelait de mille feux, révélant alors une beauté insoupçonnée. Ce ne fut que lorsqu'il eut terminé sa cigarette que Tyler quitta son bureau après y avoir éteint la lumière. Sans se précipiter, il se dirigea vers la morgue d'où émanait cette odeur de Javel qu'il détestait profondément. L'ombre furtive de Khaaleb était toujours là, s'attaquant avec méthodes aux tiroirs qui renfermaient les rapports de chacune des autopsies pratiqué ici. Khaaleb avait-il sentit sa présence ? Probablement car ses gestes furent suspendu l'espace d'un instant et ce, juste avant que son doigt ne frôle l'interrupteur et qu'une lumière blanchâtre n'éblouisse la pièce.

- C'est mieux avec la lumière non ? Vous avez pas ça à Boston ?

Laissant à Khaaleb le soin de refermer le tiroir qu'il était entrain de fouiller allégrement, Tyler le rejoignit et le fixa en silence. L'homme avait les yeux rougit, un signe parmi tant d'autres qui ne trompait pas. Pour quelqu'un qui n'avait rencontré Ned Dekker qu'une fois, Khaaleb paraissait bien affecté par la vue de son cadavre, mais avait-il vraiment besoin de le lui rappeler ? Tous deux savaient très bien que Khaaleb lui avait menti l'autre soir, sur la terrasse. Le lui balancer en pleine figure en cet instant n'avait aucun intérêt si ce n'était de le blesser davantage

- Tu trouveras rien ici, lui dit-il en quittant la salle tout en l'invitant à le suivre.

Ensemble, ils empruntèrent le chemin inverse prit par Khaaleb un peu plus tôt pour s'infiltrer jusqu'à la morgue du FBI. Une fois dans le garage souterrain, Tyler se dirigea vers une voiture sombre garé à proximité d'une issue de secours, avant de s'installer au volant et d'inviter Khaaleb à monter au côté passager. Ensemble, ils quittèrent les bureaux du FBI et roulèrent en silence vers ce qui à une époque avait été l'un des quartiers les moins surs de New-Phoenix. Depuis qu'il était gosse les choses avaient bien changé et le quartier avait été entièrement réhabilité. Garant sa voiture face un immeuble en briques entièrement restauré de 8 étages, Tyler le fixa pendant un instant avant de le désigner d'un mouvement de tête

- J'ai vécu ici pendant quelques années, au troisième. Viens

Sortant de la voiture, il se dirigea vers l'immeuble qu'il contourna, puis, empruntant les escaliers de secours, ils grimpèrent jusqu'au toit d'où l'on avait une vue assez impressionnante et dominante du quartier. Debout sur le toit, Tyler s'approcha du rebord et fixa les alentours. Le vent frais qui sévissait se faisait ressentir avec bien plus de force à cette hauteur, et s'engouffrait dans ses cheveux. En contrebas, des gosses avec la musique à fond s'exclamait joyeusement tout en buvant des cannettes de bières alors qu'une vieille voisine ouvrait la fenêtre pour leur sommer de faire moins de bruit. Les années passaient mais rien ne changeait

- Il m'arrivait souvent de trouver refuge ici,... Lorsque je voulais échapper à une correction ou que je venais d'en recevoir une... je pouvais y rester cacher des heures durant sans être dérangé, y avait jamais personnes qui venait... Ici on sera tranquille, fit-il en se retournant finalement pour faire face à Khaaleb. Maintenant je veux que tu me dises la vérité, fini les mensonges. Si tu veux que je t'aide tu joues cartes sur table

La nuit du chasseur
Partie 2

Devenir un loup-garou avait apporté beaucoup de choses au jeune homme, autant de mauvaises que de bonnes. Le développement de ses sens, ouïe, vue, odorat, qu'il rangeait dans la catégorie des bonnes choses, allait progressivement comme allait la lune dans le ciel, grossissant puis diminuant au cours du cycle. Parfois, il était un homme presque normal, parfois il se donnait l'impression d'être hors-norme, comme s'il avait été en quelque sorte piqué par une  bestiole radioactive. Il voyait plus loin, pouvait entendre chaque bruissement, chaque murmure, sentir avec discernement toutes les essences de toutes les choses. Étrangement, plus les lunes passaient et plus ses capacités semblaient s’accroître, devenant parfois presque handicapantes. Passer trop de temps en ville était souvent insupportable, car il n'y a de lieu plus bruyant que le ville, d'endroit plus puant et plus aveuglant aussi.
Mais aussi exacerbés que pouvaient être ses sens, ils ne lui avaient pas apporté très vite l'information de la présence de Tyler Lennox dans la morgue. L'odeur caractéristique de son ami s'était dégagée soudainement, sans prévenir, entre les effluves de javel, de produit d’entretien et de viande refroidie. Le sorcier aurait pu immédiatement transplaner, mais pourtant il ne le fit pas. Il savait que c'était inutile, il savait que tôt ou tard le flic lui tomberait dessus.  Khaaleb n'avait jamais été un très bon joueur de poker. On lui avait dit un jour qu'il était trop honnête pour savoir correctement bluffer. C'était faux, mais encore fallait-il qu'il le veuille vraiment pour y parvenir. Le soir où Tyler lui avait parlé de ces loups morts, le soir où il l'avait interrogé, ce soir là il avait agit par instinct, mentant à son ami qui ne voulait que l'aider et le prévenir. Cette réaction avait été une défense face à une attaque qui n'en était pas une. Il s'était convaincu qu'il avait fait ça pour protéger ses frères loups, et pour protéger l'agent du FBI aussi, le protéger d'une sombre affaire qui ne le concernait pas. En vérité, c'était lui-même que le jeune homme avait protégé, s'enfermant derrière un mur de mensonge qu'il avait immédiatement regretté. Constater son propre égoïsme était difficile pour lui, s'était se rendre compte que malgré tout ses efforts, lui aussi était touché par l'individualisme de la société moderne. Mais ce constat rendait-il son geste plus pardonnable ? Sans doute que non. Le sorcier s'en voulait, terriblement, mais il était trop tard pour faire marche arrière, ce qui avait été dit avait été dit.

La lumière s'alluma au dessus de sa tête, lumière de néon franche et froide, malade. Elle lui piqua les yeux, l'éblouissant comme un soleil sur la page de papier blanc qu'il lisait jusque là. Le loup cligna des yeux, toujours immobile, le dos tourné à l'homme qui venait de pénétrer dans la pièce en lançant une réplique qui avait sûrement pour but de détendre un peu l'atmosphère. D'ordinaire, Khaaleb aurait réagit, il aurait rit et sans doute aurait-il répliqué une autre boutade, mais le jeune homme se contenta de grogner dans un murmure, marmonnant un «...humour moldu... » entre ses dents. Alors qu'il terminait de lire le document qu'il avait dans les mains, il sentait le regard du flic sur lui. Il se demanda depuis combien de temps est ce qu'il l'observait. Sans doute assez pour qu'il n'y ait plus besoin de mentir. Si les agences fédérales pensaient rarement à équiper tous leurs bâtiments de sortilèges anti-transplanage, les sorciers avaient tendance à oublier les caméras de surveillance dans leur tentative d'infiltration. Idiot.

Énervé par sa négligence, il referma le porte document d'un claquement sec, le balançant dans le tiroir du bureau qu'il referma brusquement. Il n'y avait rien là dedans, rien d'intéressant du moins.  C'était à prévoir, Tyler ne lui aurait pas rendu la tâche facile volontairement. « Fais chier... » Lâcha-t-il dans un murmure. Sentant encore de l'humidité sur ses joues et dans ses yeux, le sorcier les essuya d'un revers de la main, en reniflant bruyamment. Peut être n'avait-il plus rien à cacher, mais la pudeur restait présente. L'un comme l'autre n'étaient après tout que des hommes.
Se tournant enfin vers son vieux camarade, le loup-garou resta stoïque, le visage fermé, regardant yeux dans les yeux le coyote qui le fixait d'un air sévère. Le temps paraissait s'étirer, encore et encore, comme si ni l'un ni l'autre ne savait par quel bout commencer. Un des néons au plafond grésilla, perturbant le statu quo de la scène, électrisant l'air. Des ombres immobiles s'étiraient contre les murs, redessinant l'espace. Il fallait briser la glace qui s'était formée entre eux.
Rompant le contact visuel, le regard de Khaaleb se dirigea alors vers la porte du frigo toujours ouverte dans lequel Ned Dekker, témoin muet de la scène, se trouvait. Un nouvelle bouffée d'angoisse lui serra la gorge, et un soupir sorti de son nez. Il baissa la tête, haussant les épaules. « Et maintenant on fait quoi ? » Relevant alors le visage, il croisa à nouveau le regard de son ami qui lui ne l'avait pas quitté des yeux. « Tu comptes me passer les menottes et m'arrêter ? » dit-il avec une pointe de défi dans la voix. A son tour de faire de l'humour, ou du moins en apparence. En réalité, Tyler avait désormais beaucoup de raisons d'arrêter le jeune homme, et ça Khaaleb le savait : intrusion dans un bâtiment fédéral, obstruction à une enquête pour meurtre, même non officielle, dissimulation d'informations sur des non-déclarés et non respect du Code de conduite des Loup-garous. Tyler n'était pas le plus réglo des flics qu'il lui avait été donné de rencontrer, mais cette fois, le sorcier était allé trop loin, et il se demandait comment allait réagir le représentant de la loi qui se tenait face à lui, tout ami qu'il était.
Encore quelques minutes, les deux hommes s'observèrent, se jaugeant chacun dans un coin de la pièce, avec la table d'autopsie pour seule séparation.

Mais alors, et contre toute attente, Tyler tourna les talons et quitta la pièce, après lui avait signifié qu'il ne trouverait rien de ce qu'il cherchait ici. Surpris par cette réaction auquel il ne s'était pas préparé, le loup fronça les sourcil, attendant deux secondes pour réagir. Puis, après avoir fermé la porte du frigo de Ned, le Géri lui emboîta le pas, le suivant à un mètre de distance dans les sous-sols  serpentant sous les bureaux du FBI. Ignorant leur destination, Khaaleb se sentait tendu, inquiet, silencieux. Ses poings restaient fermés. Très vite, le sorcier se rendit compte qu'ils ne se dirigeaient pas vers les ascenseurs, mais il ne dit pas un mot, se contentant de suivre le coyote qui ouvrait le chemin en poussant des portes battantes les unes à la suite des autres. Les deux hommes avançaient sans rencontrer personnes. A cette heure, il n'y avait plus grand monde dans le bâtiment, encore moins dans des corridors dérobés à moitié plongés dans l'obscurité.
Enfin, au bout de quelques minutes, ils arrivèrent à un parking souterrain. Une odeur d'essence, de fumée d’échappement et de caoutchouc emplissait l'air. Le lieu était désert, éclairé ici aussi par ses néons qui donnaient désormais à chaque endroit des allures de morgue. Il n'y avait plus beaucoup de voitures, la plupart des employés étant rentrés chez eux pour la nuit. Les berlines étaient dispatchées au hasard, comme placé là par une logique méconnue. L'espace d'un instant, Khaaleb s'arrêta, observant le lieu. Alors comme ça ils allaient quitter le bâtiment ? Lorsque Tyler avait dit que les informations ne se trouvaient pas ici, il avait pensé un moment qu'elles seraient dans son bureau, mais à en croire la direction que le flic était en train de prendre, rien de ce qu'il avait imaginé n'était vrai. Reprenant la marche, le grand loup rattrapa son ami en quelques enjambées rapides.  Leur pas résonnaient sur le sol en béton, émettant un écho rythmé et sinistre. Deux ombres parmi les ombres.  Il avait plu toute la journée, et des flaques s'étaient formées ici et là, reflétant le plafond par endroit. Plus loin, des goûtes tombaient une à une sur un capot.
Assez vite, ils arrivèrent à l'une des extrémités du parking, devant une voiture noire que Tyler ouvrit en appuyant  à distance sur une clef. Les phares du véhicule s'allumèrent et émirent deux clignotements qui se reflétèrent juste en face sur le mur de béton gris. Sans demander plus d'information, le Géri pris place à la place du mort, se recroquevillant sur lui-même. Le plafond de l'habitacle n'avait pas été conçu pour des personnes faisant plus d'un mètre quatre-vingt dix. Glissant les clefs dans la serrure, le flic mis le contact et la voiture démarra dans un vrombissement de moteur.
Après une manœuvre rapide, ils quittèrent le parking et le bâtiment du FBI, prenant la route vers une destination inconnue. Le visage toujours grave, Khaaleb regardait devant lui les rues qui défilaient. Les lumières, innombrables et multicolores, s'étiraient sous ses yeux, affiches publicitaires, phares de bus, lampadaires. Des passants noctambules passaient sur les trottoirs, indifférents à ce qui se passait dans sa tête et aux questions qui s'y entrechoquaient. Un homme et une femme, main dans la main, traversèrent devant eux alors qu'ils étaient arrêtés à un feu rouge. Pour la première fois depuis des heures, le loup pensa à Thalya. Thalya qu'il devait rejoindre dans un bar un peu plus tard dans la nuit. Mais le pourrait-il seulement ? Il savait qu'une discussion attendait les deux hommes, mais il ignorait seulement combien de temps elle leur prendrait. Lui qui avait attendu six mois pour enfin revoir la jeune femme, il allait peut être devoir y renoncer. Cette perspective l'attristait bien sur, mais il y avait des priorités à ne pas oublier. Ce soir, il devait être loup avant d'être homme.
Après quelques minutes de route, le véhicule quitta progressivement les buildings du centre ville, suivant toujours un itinéraire que seul Tyler semblait connaître le long des longues avenues longiformes. Les immeubles de briques succédèrent aux tours de verre et de métal, les rues aux boulevards.  
Enfin, ils s'arrêtèrent et le moteur se coupa, laissant un nouveau silence lourd peser entre eux. Sortant du véhicule, Khaaleb jeta un regard circulaire autour de lui. Il ne connaissait pas ce quartier. Des immeubles encadraient la rue dans laquelle ils venaient de se garer, éclairée par des lampadaires à la lumière jaunâtre. Quelques fenêtres étaient encore allumées, mais fort peu lorsqu'on y regardait bien. Les rideaux étaient tirés. Tous les habitants semblaient dormir et un silence relatif régnait. Un peu plus loin, un chat de gouttière traversa en trottant avant de disparaître dans une allée perpendiculaire. Un peu plus loin sur un angle, quelqu'un éteignit la lumière d'un restaurant italien, puis une silhouette en sortit et disparu dans la nuit après avoir fermé la porte. Dans ce calme ambiant, la voix du coyote résonna bizarrement. Suivant du regard le geste qui avait accompagné ses mots, Khaaleb observa avec plus d'attention les fenêtres du troisième étage du bâtiment qui leur faisait face. Il était loin de l'image qu'il s'était fait de la maison d'enfance des frères Lennox. La façade était propre, entretenue, les poubelles ne débordaient pas, comme si le temps était venu lisser tout ça. Tyler ne lui avait jamais beaucoup parlé de son enfance, les rares occasions lui avaient laissé entrapercevoir des souvenirs douloureux qui l'avaient traumatisé autant qu'ils l'avaient forgé. Le sorcier n'avait jamais insisté.

Au lieu de rentrer dans l'immeuble, les deux hommes se dirigèrent vers une ruelle sombre qui se trouvaient juste à côté. Là, ils trouvèrent un escalier de secours en métal branlant qui ne rassura pas le Géri. Chacune des marches, rongées par la rouille et par le temps, donnaient l'impression d'être à deux doigts de céder sous son poids. Malgré cela, ils arrivèrent sans encombre au sommet de l'immeuble qui dominait tout le quartier de sa hauteur, offrant une vue intéressante du centre ville et de ses lumières en arrière plan. Bien que la météo fut depuis quelques jours légèrement plus douce, il faisait encore froid et humide, surtout à cette hauteur. Le vent, toujours présent, s'engouffrait sous les vêtements, faisant voler les tignasses des deux hommes. Un temps à attraper froid. Un nuage de vapeur sortant de la bouche à chaque expiration, Khaaleb s'approcha du rebord et contempla le vide, écoutant sans y avoir l'air les mots de son ami qui lui parlait de cet endroit qui était autrefois son refuge. Plusieurs mètres sous eux, dans une petite cours entre trois immeubles, un groupe de jeune écoutait de la musique dont les bourrasques tourbillonnantes leur apportaient quelques bribes. Un nouveau soupir souleva ses épaules. Tyler voulait la vérité. Oui, après tout, il était en droit de l'avoir cette vérité. Sinon lui qui d'autre ?
Se retournant, dos au vide, Khaaleb sortit de sa poche de sa veste un paquet de cigarettes et un briquet. Glissant l'une d'entre elles entre ses lèvres, il essaya de l'allumer, mais le vent, trop fort, l'en empêcha. Dans un grognement, il s’abrita derrière un tan de son manteau et en ressorti tirant allègrement une longue bouffée de nicotine qui lui fit du bien autant qu'elle réveilla cette nausée dans son ventre. Serrant la cigarette entre son index et de majeur, il l'éloigna de sa bouche d'où il sortit une fumée blanchâtre qui s'envola et se dissipa rapidement dans l'air. Levant les yeux, il vit que des nuages épais aux teintes oranges occupaient toujours le ciel nocturne, les menaçant toujours d'une pluie glacée. Pas de lune ce soir.
Le visage tourné vers le ciel, Khaaleb commença à parler, sans acquiescer, sans dire rien d'autre que cette vérité que Tyler attendait.

« Le but de la Grande Meute Américaine a toujours été de rassembler les loups, de les unir, de les faire sortir de la clandestinité... de leur offrir... je ne sais pas... de leur offrir mieux. Mieux que le sort qu'on nous réserve d'ordinaire. » Le jeune homme s'arrêta. Son visage se baissa, mais il ne regardait rien de particulier. Posant son coude sur le rebord du parapet, il tira une nouvelle fois sur sa clope, grimaçant lorsque la fumée atteignit ses poumons. Ce qu'il s'apprêtait à dire, personne n'était au courant, personne hormis Thalya très récemment. Ce qu'il s'apprêtait à dire faisait de lui un criminel aux yeux de la loi et du Code de conduite des Loup-garous qu'il avait juré de respecter. Ce qu'il s'apprêtait à dire était une marque de confiance, même un peu tardive. Il renifla bruyamment. « Il y a quelques années, Cécil et moi avons commencé à partir à la recherche des loups non-déclarés qui vivaient sur nos territoires. Personne n'était au courant, pas même les autres alphas. L'idée était de les retrouver et de les convaincre de nous rejoindre, les convaincre de l'intérêt que pouvait présenter la GMA, de ce que ça pourrait leur apporter. On s'en foutait que ce soit interdit... ça nous paraissait important, alors on l'a fait, c'est tout. » Khaaleb soupira. Il sentait le regard de Tyler toujours posé sur lui. Il savait que son ami était désormais à l'affût de la moindre fausse note dans son discours. «  Mais après quelques temps de recherches, on s'est rendu compte que la tâche était bien plus difficile qu'on le pensait. D'une part parce que des non-déclarés, bah il y en avait beaucoup plus qu'on croyait et qu'avec le temps ils ont très bien appris à se cacher... et d'autre part parce que les quelques uns qu'on a réussi à trouver nous ont quasiment tous envoyé bouler... » La bouche du jeune homme se tordit en repensant à ces souvenirs. «  ouai... y en a pas beaucoup qui ont voulu de notre aide ou de la GMA. Ils disaient qu'on était à la botte du gouvernement et que c'était juste un moyen de nous rassembler pour mieux nous contrôler, ou au pire nous exterminer. Ils avaient p't'être pas tord dans le fond... » ajouta-t-il pour lui-même. S'écartant du mur, le sorcier commença à faire quelques pas au hasard, une main dans une des poches de son manteau, l'autre tenant toujours sa cigarette qu'il montait de temps en temps à ses lèvres. « Enfin toujours est-il que devant ce constat, Cécil a fait le choix d'arrêter les recherches et de les laisser se débrouiller seuls... pas moi...  A son insu, j'ai continué de remonter la piste des loups, et avec les années, j'en ai trouvé un certain nombre... pas tous bien sur... mais assez pour me mettre dans une situation assez délicate aux yeux de la loi si tu vois ce que je veux dire. Certains sont restés des noms sans visage, disparaissant avant que je les retrouve, comme Smith et Simons par exemple, mais d'autres m'ont fait confiance, voyant aussi que je n'étais pas que la marionnette de Cécil et du gouvernement comme beaucoup le pensait. Après de longues discussions, plusieurs d'entre eux ont décidé de rejoindre la GMA après parfois une vie entière à se cacher. A ma demande, aucun d'eux n'a jamais révélé ce qui les avait finalement convaincu à se déclarer... » Il haussa les épaules « ...après tout l'administration ne demande pas d'explication... Mais malgré tout cela, la plupart de ces loups que j'avais réussi à contacter ne voulaient toujours pas nous rejoindre, et j'ai toujours respecté ce choix, même si je n'ai jamais cessé d'essayer de les convaincre de renoncer à leur anonymat. » Pour la première fois depuis qu'il avait pris la parole, le sorcier tourna le visage vers son ami qui le regardait toujours. Leur yeux se croisèrent, quelques secondes, un regard intense et électrique. « L'autre jour tu m'as dit que j'étais conciliant à l'égard de ces non-déclarés... mais tu n'es pas loup Tyler... tu ne sais pas ce que s'est de devoir vivre avec la haine et la peur dans le regard de l'autre. » Il accompagna ses mots d'un geste, pointant ses propres yeux du doigt. « Tu ignores ce que c'est que d'avoir une cible sur le front, de voir ta famille avec cette même cible. Enfin, si tu le sais, je suis sur que tu avais aussi ce sentiment la quand t'étais infiltré... la différence c'est que pour toi c'était un choix. Eux pour la quasi majorité ne l'ont pas choisi, soit ils sont nés comme ça, soit on les a mordu sans qu'ils aient leur mot à dire... mais ça ne fait pas d'eux des monstres pour autant, ni des personnes irresponsables. La plupart applique tous les principes de sécurité du Code, ils s'isolent les soirs de pleine lune, ils consomment la potion tue-loup, presque tous protègent ceux qui les entourent, il n'y en a presque plus un seul qui mettrait la vie d'innocents en danger. Ils...ils ne sont pas différents de moi !! ils ont juste décidé de vivre autrement... sans la pression de savoir qu'un jour le gouvernement peut frapper à ma porte et décider que... » il claqua des doigts «...que c'est fini... » ajouta-t-il en serrant les dents, le visage crispé et les yeux toujours braqués sur Tyler. Parler de tout ça faisait s'allumer au fond de lui une flamme silencieuse mais brûlante. Le loup savait que le risque zéro n'existait pas. Il savait que tout pouvait basculer du jour au lendemain et que le MACUSA ou le gouvernement américaine pouvait décider que la menace lupine était un risque à ne plus courir. Il le savait parce qu'il avait grandit avec les histoires de peuples fières et libres à qui on avait fait de belles promesses avant de les condamner à la nuit. Il le savait... oui... et il était prêt à se battre jusqu'au bout pour que cela n'arrive jamais. Comme toujours Khaaleb parlait avec foi et conviction. Il espérait que son ami comprendrait « Avec le temps, je me suis rapproché de certains d'entre eux... Lo, Berckley, je les connaissais bien, eux et leurs familles. C'était des gars bien. Ils voulaient juste qu'on leur foute la paix, vivre normalement, sans avoir à prouver en permanence qu'ils n'allaient pas bouffer tout le monde.  Tu sais... je ne t'ai pas menti lorsque je t'ai dit que Ned Dekker voulait se déclarer... il l'aurait sûrement fait à l'heure d'aujourd'hui si... s'il n'était pas... » Sa voix se coupa, plus aucun mot ne voulait sortir de sa gorge. Un picotement dans les yeux lui fit battre des paupières. Il tourna le regard et marcha quelques pas de plus, donnant un coup de pied dans une vieille boite en métal rouillé qui roula jusqu'à l'autre bout du toit. Le loup ne l'avait pas remarqué, mais une fine bruine avait commencée à tomber sur eux. « Lui c'était un ami... mon ami... depuis des années... » Un nouveau silence. Au loin dans la ville, un klaxon résonna. Il renifla et alla s'accouder au parapet. «  Lorsque tu m'as dit qu'ils étaient tous morts, j'ai immédiatement compris que quelque chose de pas normal s'était passé, que quelque chose puait. Les loups ne meurent pas si facilement, pas comme ça en tout cas, ça pouvait pas être un hasard. J'ai interrogé les quelques membres des familles dont j'avais les contacts, j'ai aussi réussi à avoir des infos par les médecins... » Le loup jeta le mégot mouillé de sa cigarette dans le vide, soufflant une dernière fois. «...tous la même chose, dysfonctionnement et arrêt soudain d'un ou plusieurs organes vitaux. Pour Lo ce n'était pas impossible... il était déjà assez âgé, mais pour les autres, ça collait pas. Le cas de Ned m'intriguait plus... je ne croyais pas dans l'hypothèse de l'accident de voiture, il conduisait très bien... il y avait forcément autre chose, comme les autres... c'est pour ça que je me suis introduit à la morgue ce soir... trouver le rapport d'autopsie et essayer de comprendre un peu mieux ce merdier... » Il attendit une seconde, regardant dans le vide. Ce n'était évident pour personne de reconnaître que l'on a tord. Quelques secondes passèrent, une minute peut être. « Je suis désolé de ne t'avoir rien dit avant Tyler... je le voulais... mais je crois que j'ai eu peur. C'était mettre trop de vies en danger... » il pris une longue respiration. «  C'était me mettre en danger aussi... mais finalement ça n'a servit qu'à ralentir les choses... j'aurai du savoir que tu ne me laisserais pas m'en tirer comme ça. »

La nuit du chasseur - partie 2
ft Khaaleb et Tyler

Ce quartier, Tyler n'y avait plus remis les pieds depuis très longtemps, inconsciemment même, il le fuyait, ne s'y rendant que s'il y était contraint pour ses enquêtes. Et puis Imane était entrée dans sa vie et au fil du temps, grâce à sa présence, sa patience et sa douceur, elle lui avait permis de se sentir apaisé. Aujourd'hui, il était suffisamment solide pour revenir ici sans avoir peur de son ombre ni des souvenirs douloureux qui l'accompagnaient. Il se sentait suffisamment en paix avec lui-même pour affronter son passé et se sentir capable d'en parler, un sentiment qu'il ne pensait pas un jour connaître. C'était ici, dans ce lieu qu'il n'avait pas choisi par hasard, que Tyler avait laissé une chance à Khaaleb de lui parler avec franchise, lui donnant ainsi l'occasion soit de s'enfoncer dans ses mensonges de l'autre jour, soit de revenir dessus et de lui faire confiance. A son plus grand soulagement, son ami décida de s'ouvrir à lui et si Tyler l'écouta attentivement sans l'interrompre une seule seconde, en restant légèrement en retrait derrière lui, il avait observé avec une intention particulière chacun de ses gestes, chaque mot employé, chacune de ses intonations dans le son de sa voix,... rien ne lui avait échappé. Comme cet étranglement qui avait brisé son débit alors qu'il évoquait cet homme qui lui avait été si cher par le passé, ce ton neutre, mais pas insensible pour autant, qu'il avait utilisé pour évoquer ces personnes qu'il avait croisé ou qu'il n'avait jamais connu, cet excès d'humeur et de colère qu'il libéra en s'en shootant dans une bouteille de conserve... Exit les mensonges, cette fois Khaaleb lui révélait absolument tout, laissant ainsi définitivement tomber son masque. Lorsque ce dernier termina son récit en reconnaissant qu'il aurait du se douter qu'il ne le laisserait pas tranquille, Tyler lâcha un petit sourire avant de le rejoindre pour reprendre à son tour appui contre l'un des murets.
Les différents bruits nocturnes et citadins du quartier les enveloppait, pourtant il ne s'agissait que d'un bruit de fond auquel il ne prêtait guère attention. Le moteur d'une voiture, des voix qui parlaient un peu trop fort, des rires, un ballon de basket qui résonnait avant de s'estomper pour disparaître totalement. Au loin, une sirène de police déchira la nuit avant de disparaître à son tour... Cela grouillait de vie et pourtant malgré tout ça, d'ici, tout lui paraissait étrangement calme, un peu comme si tout ce qui se passait à l'extérieur ne pouvait les atteindre. Il n'y avait ni plus, ni moins d'activité que par le passé, tout était exactement fidèle à ses souvenirs. Le vent soufflait toujours et Tyler garda le silence avant de croiser ses mains devant lui tout en perdant son regard en contrebas. Au bout de longues minutes, il finit par prendre la parole

- Là-bas, à la place du Parking et de cette supérette y avait un parc ou se rendait tous les dealers et les putes du coin. Le lendemain, quand je coupais par-là pour me rendre au bahut tu en voyais de bonnes, y avait du tout et n'importe quoi : des seringues, des capotes, des slips, des chaussures... et puis parfois des cadavres ou un mec passé à tabac. Quand j'étais gosse, ce quartier ressemblait pas à ça, en réalité c'était un véritable coupe-gorge pour les adultes, mais aussi paradoxale que ça puisse paraître, nous les gosses, on y était en sécurité... J'ai pas eu la vie facile tous les jours mais tout n'était pas si noir, j'avais bien plus de liberté que la plupart des gosses de mon âge. Je pouvais rentrer à pas d'heure, on m'obligeait pas à faire mes devoirs... et puis j'avais mes amis, Eliàs et Tallin et aussi mon frère...

Il eut un silence durant lequel Tyler se perdit dans ses souvenirs avant de perdre son regard en direction du trottoir qui se trouvait juste en-dessous d'eux, avant de revenir sur Khaaleb

- T'as raison, j'suis pas un loup, et j'pourrais jamais comprendre les problèmes que sont les vôtres, mais c'est pas pour ça que j'sais pas ce que c'est que d'être pointé du doigt et d'avoir une cible sur le dos... j'ai jamais connu ça en tant qu'infiltré tout simplement parce que j'ai jamais éprouvé un attachement particulier à la vie. J'étais pas suicidaire mais si ça devait arriver, si je devais crever en faisant mon taff ben c'est que ça devait arriver. Je connaissais les risques et en toute franchise, vivre ou mourir, je m'en foutais un peu parce que j'étais sans attache et c'est ce qui m'a permis de faire ce boulot aussi longtemps... Cette cible dont tu parles je l'avais quand j'étais gosse. Je l'avais des autres gamins parce que je n'avais pas beaucoup de vêtements, parce que j'étais toujours dispensé de sport parce que je n'avais pas les bons amis, parce que mon père était un ivrogne, parce que je n'avais pas de mère, parce que je venais d'un quartier de merde..., Les profs aussi, parce qu'à leurs yeux j'étais de la mauvaise graine, fils de et frère de... que je ne faisais pas mes devoirs... pas un seul ne s'est demandé pourquoi je ne faisais jamais mes devoirs, pas un seul ne s'est dit que mes blessures pouvaient provenir d'autres choses que d'une bagarre, non parce qu'ils m'avaient collé une étiquette qui les arrangeait. Bon dieu j'étais qu'un gosse... Les gens savaient mais pour eux j'étais perdu d'avance pourtant si un adulte m'avait tendu la main les choses auraient peut-être été différentes. Quand tout le monde te renvois une certaine image de toi, tu finis par croire que tu es bel et bien comme ce reflet et dans mon cas c'était pas bien difficile. J'étais bagarreur, effronté, je volais, et je travaillais même pour le dealer du coin. Mon taff consistait juste à transporter des paquets contenant de la came ou d'autres merdes du même acabit. Silas savait qu'on n'arrêtait pas les gosses c'était pratique pour lui et pour moi c'était de l'argent gagné facilement. J'ai arrêté de bosser pour lui quand j'ai quitté ce quartier et qu'on m'a placé dans un foyer, et puis y avait Eliàs. Il m'a pas laissé tombé. Quand il a choisi d'entrer dans l'école de police pour rendre hommage au flic qui était mort par notre faute, je l'ai suivi. Contrairement à Eliàs, je ressentais pas ce besoin de rendre hommage à cet homme, mais je voulais prouver qu'un Lennox pouvait s'en sortir sauf qu'au lieu d'avoir une jolie plaque et une mutation dans un bureau comme lui, on m'a demandé de renoncer à tout ça et de devenir un infiltré. C'est à dire jeter aux orties tous mes espoirs et passer par la case prison pour un an minimum histoire de parfaire mes relations existantes. J'ai aucun regret, ce boulot était fait pour moi, la rue, c'est ce que je connaissais de mieux. Je savais comment ça fonctionnait alors Eliàs et moi on a pris des chemins différents et c'est ce qui a fait aussi que contrairement à Eliàs je n'ai jamais été obligé de suivre un règlement à la lettre ou de faire respecter la loi, en vrai, je crois que je suis le mieux placé pour savoir qu'elle doit parfois être contourné. Le système n'est pas fiable, il est même corrompu... tu crois que je vais te juger d'avoir couvert ces types ? C'est pas mon rôle et je serais très mal placé pour le faire. Tu t'es confié à un type qui a tabassé des matons il y a quelques mois à peine... A la prison de Santa Fe, Bradley s'est fait tabassé par deux matons. Je sais comment certains salopard abusent de leur pouvoir... c'est pas le cas de la majorité d'entre eux mais une bonne parti déteste leur boulot, parce qu'ils ont raté les concours d'entrée pour être inspecteur ou pour entrer au FBI... alors ils déchargent leur frustration de petits fonctionnaires ratés en abusant de leurs positions pour jouer au justicier et en foutre plein la gueule aux prisonniers. Après tout, ce n'est que de la sous-merde s'ils sont là, qui ça dérangerait ? Je les ai guetté, je leur ai tendu un piège, je les ai emmené dans un endroit isolé et je leur ai fait le centuple ce qu'ils avaient fait à mon frère. Je sais pas si je pourrais un jour pardonner à Bradley son implication dans les Pro-moldus et ce qu'ils ont faillit faire à Imane mais... il reste mon frère, celui qui me protégeait quand j'étais gosse,... Je porte peut-être une plaque mais va pas t'imaginer que je comprends rien

C'était peut-être même tout l'inverse, il était probablement celui qui pouvait être le plus à même à comprendre ce qu'éprouvait Khaaleb. Savoir que ce dernier avait poursuivit la tâche que Cécil et lui avaient commencé ensemble, alors que le Marrok avait lui baissé les bras, montrait le genre d'homme qu'était Cécil et celui qu'était Khaaleb. Indéniablement son respect allait plutôt en direction de l'homme qui était à ses côtés et qu'il n'aurait de toute manière pas imaginé agir autrement. Il devinait sans peine que des liens se tissaient entre le colosse qui se tenait à ses côtés et ces personnes récalcitrantes à se déclarer. Avaient-ils raison de rester dans l'ombre ? Devaient-ils se déclarer ? A ses yeux aucune solution n'était parfaite car ce qui partait généralement d'une bonne intention finissait toujours par être corrompu et exploité par certains. L'un comme l'autre possédaient autant d'arguments qui pesaient tant en faveur de cette loi qu'en sa défaveur et à vrai dire, Tyler n'était pas là pour la juger ni même pour la faire appliquer. Aiderait-il pour autant Khaaleb à couvrir ces personnes ? Ce n'était pas son rôle non plus, mais il pouvait fermer les yeux sur les activités illégales de son ami.

- Dès l'instant où je t'en ai parlé, je savais que tu ne pourrais pas rester en dehors de tout ça, te surprendre à la morgue n'était pas une surprise en soi, en vrai je t'attendais. Cette enquête est parfaitement officieuse, comme j'te l'ai déjà dis, y a pas de quoi ouvrir une enquête officielle mais je n'avance pas comme j'aimerais et toi tu n'arriveras à rien sans moi. On a besoin l'un de l'autre pour résoudre cette affaire mais je ne ferais équipe avec toi que sous certaines conditions. D'abord tu fais rien sans m'en parler avant, ensuite plus de mensonges enfin, je te laisserais mener les opérations dès qu'il s'agit des loups parce que c'est ton domaine mais toi tu me laisses m'occuper du reste et si je te dis de ne pas faire quelque chose tu obéis ou je met fin immédiatement à notre collaboration

Et Tyler ne plaisantait pas. Tout ami que Khaaleb pouvait être, si ce dernier trahissait un seul point de cet accord, Tyler n'hésiterait pas à cesser toute collaboration avec lui et s'il fallait pour ça le mettre hors jeu, il n'aurait aucun scrupule à le faire enfermer le temps de l'enquête avant tout pour le préserver lui et ne pas le voir agir inconsidérément en risquant sa vie ou en risquant de compromettre l'enquête, et des motifs, ce soir, il venait de lui en donner une pelletée.
Une fois qu'ils se furent bien compris, Tyler s'alluma une cigarette avant de de profiter de l'air nocturne

- J'ai peut-être ce que tu cherches. Et ceci dit, il plongea sa main dans la poche intérieur de sa veste en cuir

Il en sorti une clé-tout, cette clé USB alliant à la fois technologie et magie. Une techno-magie décrié tant par les Inquisiteurs que par les Mages Fondateurs, (qui avait au moins le mérite de les mettre d'accord sur un point), mais qui était l'essence même de la vision des Partisans du Nouveau-Monde. Présenté comme une clé USB classique dont elle possédait le même usage, elle avait en plus la caractéristique non négligeable d'afficher, sans l'aide externe d'un ordinateur, les données qu'elle possédait sous réserve de reconnaissance vocale. Sélectionnant les dossiers qui l'intéressait, il les ouvrit devant Khaaleb

- Ce sont les autopsies. A première vu rien d'anormal, tous les décès sont bien dû à des causes naturelles mais regardes, ils ont tous un point commun... un élément qui ne devrait pas apparaître dans leur sang et qui pourtant s'y trouve en grande quantité... tu l'as repéré ?

Il était de notoriété publique que les loups-garous tout comme les vampires, étaient allergiques à l'argent, une matière qu'ils ne supportaient pas et qui pouvait très rapidement devenir mortel. Il ne faisait aucun doute qu'ils avaient tous été empoisonné mais comment ? Et par qui ? Qu'est-ce qui pouvait bien relier ces 5 individus qui ne se connaissaient pas, qui avaient des vies sociales totalement différentes, et qui ne vivaient même pas dans la même ville ni le même Etat.

La nuit du chasseur
Partie 2

Musique :

La petite bruine fine qui tombait jusqu'alors sur la ville s'intensifiait de plus en plus. En contre bas, on n'entendait plus le son régulier du ballon de basket qui résonnait contre les briques des immeubles, ni même le grésillement d'un flow de rap. Le groupe de jeunes avait du rentrer se mettre à l'abri. Il n'y avait plus personne dans les rues, plus un bruit dans la nuit, seulement la pluie.
Le tintement régulier des gouttes d'eau tombant autour d'eux, contre la tôle d'un pigeonnier vide un peu plus loin sur le toit, le ruissellement le long d'une gouttière, tout était comme une cacophonie qui ne semblait être là que pour cacher aux oreilles de tous ce que les deux hommes se disaient. Aucun d'eux ne semblaient d'ailleurs prêter une grande attention à cette précipitation ni même à leurs vêtements qui seraient bientôt trempés. Levant les yeux vers ce ciel aux nuages menaçants, Khaaleb les scruta, comme s'il pouvait y voir une réponse aux questions qu'il se posait, à cette situation dans laquelle il avait mis les pieds. Depuis des mois, le jeune homme se sentait comme le spectateur impuissant d'une pièce de théâtre aux actes cruels et vicieux et il se demandait souvent comment est ce que tout cela allait bien pouvoir finir.
Toujours appuyé sur le parapet, silencieux, le sorcier attendait sans savoir ce qui allait venir. Il avait parlé à Tyler le cœur ouvert, ne lui cachant plus rien désormais, et maintenant il attendait sa réaction avec appréhension. Car si révéler ses secrets et ses mensonges avaient été en soi libérateur, ça n'avait pas réglé ses problèmes pour autant. Il ignorait toujours comment est-ce que le flic allait réagir à ces révélations. Serait-il en colère ? déçu ? Allait-il faire ce que la loi lui demandait ?
Mais la réaction de son ami ne fut pas celle à laquelle il s'était attendu. Après un temps de silence plus long qu'il ne l'aurait cru, Tyler reprit la parole, non pas pour le réprimander, mais pour lui raconter une histoire, la sienne. Le biker n'avait jamais été vraiment expansif sur son enfance, du moins pas devant lui,  et l'amérindien avait toujours eu la décence de ne pas l'interroger à cette question. Du peu qu'il en savait, c'était tout ce qu'on pouvait faire de plus sordide.
Pourtant, malgré cette pudeur qu'il avait toujours eu sur ce sujet, le flic parla, sans détour, de cette enfance qu'il avait vécu dans ce quartier. Sans trop comprendre où il voulait en venir, le loup l'écoutait, les yeux perdus sur ce parking en contrebas que son ami lui indiquait. Plus le récit avançait, plus le grand brun se rendait compte des différences de parcours qui étaient les leurs, s'étonnant que ces deux chemins puissent malgré tout les conduire sur ce même toit, un soir d'hiver.
Contrairement à Tyler, lui-même avait grandit entouré par des parents aimants et présents, qui les avaient élevé avec amour en essayant de leur transmettre les meilleurs valeurs. Grâce à eux et à la mixité de leur couple, la fratrie Tal'ahjon avait pu profiter d'un enrichissement culturel incroyable, ils avaient pu grandir loin de tous les affres du monde moderne. Ils avaient eu ce qu'on pouvait appeler sans mal, une enfance heureuse, même si tout n'avait pas toujours été rose. Grandir en étant sang-mêlé au sein d'une réserve leur avait valu quelques quolibets des autres enfants, moqueries et discriminations qu'ils avaient retrouvé d'une autre façon une fois rentré à Ilvermorny. Mais que ce fut les enfants de la réserve ou ceux de l'institut magique, ils ne leur avaient pas beaucoup laisser le temps de rire d'eux. Plus Tyler parlait, plus Khaaleb se rendait aussi compte de la chance qu'il avait eu de tomber sur certains profs qui l'avaient guidé sur le droit chemin, qui avaient cru en lui. Beaucoup de ce que nous devenons est déterminé par les rencontres que nous faisons, et le loup se demandait ce qu'il serait advenu de son ami s'il avait pu avoir les mêmes enseignants que lui. L'espace d'un instant très court, il se demanda même ce qu'il se serait passé si eux deux s'étaient connus à l'époque de leur enfance. Bien sur, ils n'avaient pas tout à fait le même âge, mais en imaginant que ce fut le cas, et qu'ils fussent amené à se croiser, seraient-ils devenus amis ? Cette question resta en suspens dans sa tête et disparu aussi vite qu'elle était venue.
Le discours de Tyler se poursuivait, et lui restait toujours silencieux. C'était à son tour de se taire et d'écouter.
Et plus le récit avançait, plus la raison qui avait poussé son ami à lui raconter tout ça lui apparaissait clairement. Que ce fut cette enfance difficile qui l'avait forgé par ses horreurs, ou bien les raisons qui l'avaient poussé à entrer dans la police, tout n'était qu'une façon de lui dire qu'il pouvait se fier à lui. Les yeux posés sur ses mains croisées sur le parapet, Khaaleb ressentit un élan de gratitude pour son vieux camarade. C'était sans doute maladroit, et il y aurait eu bien des façons plus simples pour le dire, mais c'était comme ça, et le loup en était extrêmement reconnaissant. Le biker lui en voulait sûrement de lui avoir menti et d'avoir caché des informations, mais au fond de lui le Géri savait qu'il comprenait pourquoi il l'avait fait, et surtout, qu'à aucun moment il ne jugeait ses choix et ses actes. Ce discours était une main tendue, une preuve d'amitié, une façon de lui faire comprendre qu'il pouvait s'appuyer sur lui, avoir confiance en lui. Une façon de dire qu'il n'avait pas à affronter tout ça seul.
Un sentiment de profond respect et de reconnaissance serra le cœur du jeune homme, en même temps que la honte d'avoir cru qu'il pouvait en être autrement. Il aurait voulu lui demander pardon une nouvelle fois, tout couillon qu'il se sentait, mais ça n'aurait rien apporter de plus. Il savait que Tyler lui pardonnerait ses actes passés, car c'était ceux à venir qui comptaient à présent. Ce qui comptait c'était ce qu'ils allaient pouvoir faire ensemble. Travailler à deux sur l'affaire, comme le flic le suggérait, ne lui semblait toujours pas une bonne idée. Le loup craignait toujours de voir celui qu'il considérait comme un frère mettre les pieds dans quelque chose de trop dangereux, mais puisqu'il était aussi têtu que lui, il savait que ça ne servait plus à rien d'essayer de le maintenir à l'écart ou de le dissuader de poursuivre l'enquête. Se jurant de tout faire pour le protéger, quoi qu'il leur arrive dans cette sombre affaire, le grand loup se tourna vers son ami lorsque ce dernier émis les conditions de ce partenariat.
Quelques instants, les deux hommes restèrent à s'observer. Khaaleb savait que l'agent du FBI ne plaisantait pas. Il allait falloir suivre ses règles s'il voulait prendre part à l'enquête et surtout obéir aux ordres, quelque chose pour lequel il n'était pas si doué que ça en fin de compte. Mais après tout, après ce que Tyler avait déjà fait pour lui, il lui devait bien ça.
Sans rompre le contact visuel, le loup tendit la main vers son ami, qui la saisit et la serra. Cette poignée de main, forte à vous briser les phalanges, était pour lui bien plus un pacte qu'un accord. C'était un engagement, une promesse aussi. Au delà de leurs différents, au delà des mondes dont ils venaient tout deux, c'était une façon de lui montrer qu'à partir de maintenant il n'y aurait plus de mensonges, plus de secrets. Ils allaient travailler ensemble, et bon courage à ceux qui se dresseraient sur leur route.

« Ok Old Boy... c'est toi qui mènes la danse. Et crois-moi jte donnerai plus l'occas' de me foutre au trou de si tôt...enfin, on va essayer... » finit-il sur un clin d’œil. Ce n'était pas forcément malin de faire de l'humour à cet instant précis, mais il savait que son ami ne lui en tiendrait pas rigueur.

Les mains des deux hommes se lâchèrent, puis imitant le flic, le loup s'alluma une nouvelle cigarette, ou tout du moins essaya tant bien que mal avec la pluie qui tombait pourtant un peu moins drue. Étrangement, le sorcier se sentait légèrement plus serein maintenant qu'il n'était plus seul dans ce bourbier. Bien des questions occupaient encore son esprit, et ils ignoraient toujours pourquoi des lycanthropes envahissaient les frigo de la morgue. Mais en cet instant, Khaaleb sentait une motivation nouvelle l'envahir. La douleur qu'il ressentait, vibrante, dans son ventre depuis qu'il avait vu le cadavre de Ned diminuait sensiblement, en même temps que l'averse qui se calmait.
Mais bien vite, à l'instant où il vit Tyler sortir une cleb-tout de la poche de sa veste, revint l'appréhension. La parenthèse était terminée, ils devaient se remettre au boulot.

Prenant l'objet que le flic lui tendait, le jeune homme plongea dans la lecture de ce qu'il était venu chercher cette nuit dans les sous-sol du FBI : les rapports d'autopsie des loups décédés. L'appareil, qui faisait apparaître un écran un peu comme celui d'une tablette, avait ça de pratique qu'il était bien plus discret et moins fragile. Les sourcils froncés, le loup faisait défiler les scans du bout du doigt, parcourant les lignes remplies par les différents légistes qui s'étaient occupés des morts avant qu'ils ne soient transférés au FBI. Ce n'était pas la première fois que le Géri avait sous les yeux ce genre de document, mais c'était différent quand on avait connu de leur vivant les gens dont il était question. A la première lecture en tout cas, rien ne lui semblait totalement anormal. Les causes de mort étaient les mêmes que celles qu'on lui avait déjà annoncé, « insuffisance rénale », « crise hépatique aiguë », infarctus du myocarpe ». Le cœur du géant manqua un battement lorsque l'écran magique lui montra le visage mort de Ned. Malgré le fait que son ami eut les yeux fermés sur la photographie, il semblait au loup qu'il le regardait, par delà le cliché. Le médecin qui avait fait l'image avait au moins eu la bonne idée de ne pas utiliser un appareil magique, sans quoi la situation aurait vraiment au quelque chose de macabre. En réalité, il avait presque l'air serein quand on ne regardait pas bien, comme s'il dormait, mais les profonde entailles, marquant un V sur son torse, étaient là pour lui rappeler que cet homme qu'il avait bien connu était bel et bien mort. Figé par ce constat, Khaaleb ne sortit de ses pensées que lorsque Tyler lui conseilla de regarder une irrégularité dans le sang des défunts. Replongeant dans la lecture du rapport, le jeune homme agrandit l'image sur un petit encadré qui faisait le point sur les analyses de Ned. Bien que ses années d'étude remontaient déjà à plusieurs années, le biologiste de formation qu'il était savait ce qu'on devait trouver dans le sang d'un homme adulte en bonne santé, et ce qu'on ne devait pas y trouver.

Dès qu'il eut repéré l'erreur, l'intrus, son cœur s’arrêta. Le souffle coupé par le choc, le jeune homme fit glisser son doigts sur l'écran de lumière afin de voir sur les autres rapports, approchant son visage comme pour mieux voir quelque chose qui lui semblait parfaitement improbable. A chaque fois les taux étaient là, tous sensiblement différents, mais bien présents. Totalement incrédule, le visage figé dans une expression d'horreur, le loup releva la tête vers son ami.

« De... l'argent. » Il cligna des yeux plusieurs fois, comme s'il essayait de se réveiller d'un mauvais songe. « mais...comment... comment est-ce possible...»

C'était parfaitement invraisemblable. Comment est-ce que Ned  et les autres pouvaient se retrouver avec des traces d'argent dans le sang ? C'était de notoriété publique que les loups étaient hautement allergiques à ce métal, et ils faisaient toujours tout pour en éviter le contact. Bien sur, ce n'était pas toujours possible, et il y avait parfois des accidents, la plupart du temps sans grande conséquence, mais là c'était différent. Ça ne pouvait pas être une coïncidence ! C'était tout simplement impossible que cinq lycans se retrouvent par hasard avec ça dans l'organisme et en meurt. Tout cela ne pouvait vouloir dire qu'une seule chose... ils avaient été empoisonné, volontairement empoisonné.
Ces cinq loups avaient été assassiné.
Bien qu'une part de lui s'y était attendu, ce constat lui fit l'effet d'une gifle, ou plutôt d'un coup de batte de base-ball en plein dans le ventre. Questionnant son ami du regard, il était certain que ce dernier en était venu aux mêmes conclusions que lui. Incapable de rester debout plus longtemps, sentant ses grandes jambes peiner à le porter, le jeune homme se laissa tomber sur une vieille caisse en bois qui se trouvait à côté d'eux. Éteignant la clé-tout qu'il redonna à son ami, il voulu porter sa cigarette à ses lèvres mais cette dernière, trop humide, s'était éteinte. Jurant, le sorcier la jeta à ses pieds avant de se prendre le visage dans les mains dans un « putain de merde » à moitié murmuré. Dans sa tête défilait un milliard de scénarios différents, tournant comme dans un manège infernal.

« MERDE... » dit-il, la voix  plus forte mais à moitié étouffée par ses mains. Dans un reniflement sonore, il redressa le buste et appuya le dos contre le parapet qui se trouvait derrière lui, le visage tourné vers le ciel. Il ne devait pas céder à la colère ou à la panique. Essayant de garder la tête froide, le sorcier resta comme ça quelques instants, comme s'il questionnait les nuages au dessus d'eux. « Les taux sont trop bas pour tuer un non-loup... mais pour nous... » Reprit-il au bout d'un moment «...pour nous c'est le pire des poisons. » Nouveau silence « Mais je comprends pas... avec autant d'argent dans le sang, ça aurait du leur être immédiatement fatal... et on l'aurait tout de suite su... il y a des symptômes...» L'espace d'un instant, Khaaleb repensa au visage terrifié de Will, la main sur son abdomen recouvert de son propre sang. Il se souvint de ce corps qu'y s'était effondré d'un coup, des convulsions terribles causées par la balle en argent qui avait déchirée ses chaires et qui, toujours présente dans son organisme, le tuait mieux qu'une hémorragie. Il se souvenait des râles que son ami avait fait, incapable de trouver de l'air dans ces poumons qui s’atrophiaient, la bave mêlée au sang qui coulait de sa bouche ouverte. Il se souvenait du regard fou du jeune homme, celui d'une bête qui se débattait et luttait pour sa vie.
Le loup ferma les yeux une seconde, essayant de rassembler ses forces pour ne pas se laisser submerger par ce souvenir qui le hantait toujours. Une douleur aiguë lui tira le muscle de l'épaule. Lui aussi avait subit la morsure de ce maudit métal. La balle était ressortie immédiatement, mais le sorcier se souvenait encore des dommages qu'elle avait fait, de la fièvre qu'elle avait causé. Il s'en était remis, le corps se réparant plus vite que le cœur, mais il avait survécu. Le loup en lui avait combattu le mal. Et s'il en était allé de même pour les autres ? «... à moins... à moins qu'on ne leur ait administré au compte goutte... petit à petit... ils auraient pu tenir quelques temps. Leur corps aurait pu supporter, jusqu'à ce que finalement un organe ou plusieurs lâche et que ça passe pour un accident... enfin...pour une cause naturelle... un peu comme des bombes à retardement. » Finit-il en tournant le regard vers Tyler qui l'écoutait avec l'air soucieux. « Mais comment... » Replongeant son regard dans le vide, il posa ses coudes sur ses genoux et cala son menton sur ses mains aux doigts croisés. «... ça a forcément été fait à leur insu... mais comment ? Pour que ça soit présent comme ça aux analyses il fallait soit qu'ils l'ingèrent soit qu'on leur injecte, et il n'y avait pas de trace de piqûres sur les corps non ? » Tyler lui confirma que non. « Comment...comment...comment... » répétait-il en murmurant, réfléchissant à milles à l'heure. « Comment être sur qu'ils allaient avaler ce truc de façon régulière, parce que ça devait forcément être régulier, pour être sur que ça fonctionne... ». Les deux hommes restèrent là plusieurs minutes à réfléchir, pensant et murmurant des hypothèses les unes après les autres, sans parvenir à trouver de solution à cette énigme. Comment être sur que cinq hommes, cinq loups, allaient tous ingérer presque au même moment un poison mortel ? Ils avaient du être forcé par quelqu'un. Mais la distance entre les victimes mettait de côté cette idée. Non, il ne devait pas être conscient, ne pas savoir. Mais qu'est ce qui reliait ces hommes, qu'est ce qui les reliait, hormis le fait qu'ils étaient tous lycanthropes ?

Soudain, une idée s'imposa dans l'esprit du jeune homme. Une idée qui lui apparut soudain comme la seule vérité possible à la question qui les occupait. Ils étaient tous des loups... Serrant les poings, il posa son front dessus en serrant les dents. « Nan mais quel con... » Il sentait cette fois la colère monter en lui, sans qu'il puisse la retenir. Pourquoi n'y avait-il pas pensé plus tôt ? C'était tellement évident !! Tellement simple en réalité qu'il n'y avait même pas pensé. Cette chose était si inscrite dans son quotidien qu'il n'avait même pas vu son potentiel de destruction « quel con...quel CON !! » Rageât-il en se frappa le front contre ses poings. Furieux contre lui-même, et plus encore contre ceux qui étaient à l'origine de ces meurtres d'une putasserie sans nom, il se leva d'un bond et commença à faire les cents pas en jurant copieusement devant un Tyler interloqué. « Putain de merde les connards... mais ça peut que être ça...c'est pas possible autrement... » S'arrêtant soudain, il redressa la tête vers son ami. Il avait sur le visage une expression à mi chemin entre la rage et le désespoir.

« La potion tue-loup... » Lâcha-t-il dans un souffle, comme si ça allait de soit. Mais devant le regard interrogateur de son ami, le sorcier se rendit compte qu'il allait devoir être plus clair. Après tout, tout agent du FBI qu'il était, Tyler n'en restait pas moins un non-maj', et même si avoir un ami membre de la communauté lycanthropique permettait d'en savoir un peu plus que la majorité sur cette particularité, il ne pouvait pas connaître tous les détails de ce breuvage qui était au centre de leur vie. « La potion tue-loup est une potion qui nous permet de garder le contrôle pendant la pleine lune. Elle n'empêche pas la transformation, mais ça nous permet de rester lucides et... inoffensifs. Prendre cette potion fait parti des obligations du Code de Conduite des Loups Garous, tous les déclarés la consomme... mais beaucoup de non-déclarés aussi ! Ça leur permet de rester plus discrets... » Khaaleb savait que tous les loups dissidents, ceux qui refusaient de se soumettre à la loi, ne prenaient pas tous ce breuvage. Mais ses recherches et les rencontres qu'il avait eu avec ses gens au cours des dernières années lui avait appris que très peu en rejetait la consommation désormais. Garder le contrôle de soi pendant les phases de transformation permettait de ne pas attirer l'attention, de rester dans l'anonymat. « Pour qu'elle soit efficace, il faut boire la potion de façon régulière... une dose tous les jours, une semaine avant la pleine lune... » Continua-t-il pour justifier cette théorie à son ami avant de recommencer à faire les cents pas sur le toit de l'immeuble « Je ne vois pas d'autre solution possible... ça expliquerait pourquoi est ce qu'ils ont tous pris le poison sans se poser de questions ! Ils DEVAIENT le prendre... et logique qu'ils ne se soient rendus compte de rien... il y a parfois quelques effets secondaires, comme de la fatigue, des sautes d'humeurs, voir des douleurs...oui... je suis sur que c'est ça... mais il faudrait pouvoir le prouver. »

Soudain, Khaaleb arrêta ses pas, se figeant sur place. Lentement, il releva le visage vers Tyler. Il venait de réaliser quelque chose. « Mec... t'as bien dit que c'était pas une enquête officielle hein ? ça veut dire que pour le moment ils sont tous morts officiellement de causes « naturelles »... donc leurs affaires et leurs appartement ne sont pas sous scellées ? » Immédiatement, le loup vit que son ami avait compris le fond de sa pensée. Ils allaient devoir se rendre chez une des victimes pour vérifier cette hypothèse, la seule qui trouvait grâce aux yeux du Géri.
Mais voyant le flic se diriger d'un pas vif vers l'escalier de secours par lequel ils étaient montés un peu plus tôt, le sorcier rattrapa son ami et lui saisit le bras d'une poigne forte.

« Désolé Tyler... on ira chercher ta caisse plus tard...là on a pas le temps... Cramponne toi !! »

Ne prenant pas la peine de répondre au regard lancé par l'agent du FBI, sa main fermement agrippé au bras du non-maj', le sorcier pivota sur lui même et transplana, quittant le froid et l'humidité de la ville.
Une sensation étouffement leur serra les poumons, comme s'ils passaient dans un tuyau trop étroit, mais quelques secondes plus tard, tout redevint normal et ils purent à nouveau respirer. Les deux hommes avaient atterris dans le salon d'un appartement à moitié plongé dans l'obscurité. De l'autre côté la fenêtre cependant se trouvait un lampadaire qui projetait dans la pièce une lumière faiblarde  qui faisait s'étirer leurs ombres. Khaaleb connaissait bien les lieux. Il les avait conduit chez Ned Dekker. En général, il était préférable de ne pas transplaner dans des espaces fermés, ou des endroits dont on ne peut avoir de visuel, afin d'éviter de se matérialiser dans un mur. Mais dans un soucis de discrétion, c'était toujours ainsi, en apparaissant sur le tapis du salon, que le Géri était venu rendre visite à son ami. Rien n'avait d'ailleurs changé depuis sa dernière visite.
La pièce, sobrement décorée, montrait néanmoins les goûts du loup non-déclaré pour le cinéma. Une grande télévision, quelques affiches de films cultes, et une impressionnante collection de DVD. S'interdisant de repenser à toutes ces fois où il était venu partager une pizza et des bières en matant un film ou un match, le cul posé sur ce canapé gris, le grand brun se tourna vers l'homme qui l'accompagnait et qui semblait, au regard noir qu'il lui lançait, lui en vouloir un peu pour cette petite téléportation forcée.

« Jsuis désolé... mais en voiture ça aurait été trop long... » murmura-t-il « On est chez Ned... il faut qu'on trouve son stock de potion... non attends, inutile de chercher, j'ai une meilleure idée. » Plongeant sa main dans une poche intérieure de son manteau, Khaaleb en sorti sa baguette magique. L'objet était d'une taille impressionnante, bien que dans sa main elle semblait parfaitement proportionnée (oulala que c'est tendancieux xD c'est comme quand il fallait les décrire en train de jouer au billard...un cauchemar). Le bois, en chêne blanc, était gravé de symboles énigmatiques mais simples et géométriques, comme un alphabet dont on aurait perdu le sens. « Accio boite à potion tue-loup... » prononça-t-il distinctement, et immédiatement la magie qui provenait du crin de sombral opéra. Il y eu un bruit comme un claquement de porte, puis une petite boite noire arriva vers eux en volant. Ce fut Tyler qui l'attrapa et l'ouvrit, révélant à l'intérieur plusieurs flacons vides, et un seul plein. Le seul que Ned n'avait pas eu le temps de boire. Avec précaution, le loup le pris et le regardant comme s'il s'agissait de quelque chose de maléfique, l'apportant ensuite vers la cuisine ouverte qui donnait sur le salon, non sans avoir au passage fait lancé un sort d'un mouvement souple du poignet qui sécha instantanément leurs vêtements trempés. Posant le flacon sur le plan de travail, il entrepris d'ouvrir les différents placards afin d'en sortir une grande casserole et plusieurs bols et tasse. Mettant la casserole sur une des plaque de cuisson, il alluma un feu doux et après avoir débouché la bouteille, en vida la moitié du  contenu dans le récipient. Immédiatement, une odeur forte et entêtante de plantes se rependit dans la pièce. Poussant un profond soupir, il jeta un regard à Tyler avant de dire « Cours de potions, sixième année : préparation des antidotes... étape une, découvrir les composent de la potion pour laquelle on doit créer l'antidote. » Se relevant les manches, le sorcier se mit à la tâche, levant sa baguette au dessus de la casserole où la potion était désormais en train de bouillir. L'exercice se révéla en réalité assez simple, mais la manipulation en était longue et complexe. Le loup avait l'avantage de connaître la plupart des ingrédients que devait normalement contenir le breuvage, l'extraction était donc moins difficile que sur une potion totalement inconnue, comme c'était le cas pendant ses anciens cours. Bien sur, il aurait simplement pu lancer un sort pour faire sortir uniquement l'argent de la mixture, mais il ne voulait pas exclure la possibilité que le métal soit le seul poison qui y avait été ajouté.
Assez rapidement, les bols et autres tasses qui se trouvaient autour de lui se remplirent de petites doses de liquides de diverses couleurs et textures, jusqu'à ce qu'enfin, il ne reste qu'une seule chose dans le fond de la marmite. Se penchant sur le résultat, Khaaleb ne put réprimer son dégoût. Il avait vu juste.

Se tournant vers Tyler, il lui fit signe d'approcher pour constater par lui-même. Au fond de la casserole, accroché comme un résidu brûlé, se trouvait des petites paillettes argentés, comme une poudre très fine qui luisait sous la lumière de la baguette qu'il venait d'allumer.

« Ils ne savaient pas... » répéta le jeune homme dans un constat accablant. « Ils ont simplement pris leur potion, leur laisser passer pour l'insertion... » Il eut un léger rire, mais aucune joie n'en sorti « ils ont juste pris leur potion... sans savoir qu'elle était en train de les tuer. »